jeudi 17 août 2017

En son royaume


Il était temps, pour Les deux compères, Justin et Auguste, de se dégourdir les ailes et de se changer les idées. Ils n'ont point fait encore de rencontres, mais poursuivent assidument leur discussion.



– Cher Justin, quelles raisons aurions de croire en ce que disent nos maîtres?
– Cher Auguste, parce que précisément ils nous ont appris à poser ce genre de questions... enfin... c'est ce qu'ils croient... entre autres croyances...
– N'est-ce pas une sorte de jeu puéril, comme dans un labyrinthe où l'on ne ferait que tourner en rond indéfiniment?
  – C'est un peu cela, mais n'est-il pas nécessaire d'entrer dans la circularité des courants thermiques pour que sans effort apparent nous puissions nous élever mieux encore que des hommes...
– Il me semble me souvenir ce que disait mon cher maître, qui me fut présenté sous le patronyme de Justin, aujourd'hui le Très Réel Commandant Guisbert Briselame  fait peine à voir... tant la déception se farde d'un pouvoir qu'il n'a pourtant plus...
– L'avez-vous vu récemment?
– Non, il se terre en son royaume... et n'accorde audience qu'à ceux qui croient en lui, qui l'aiment et le vénèrent.
– Que vous a-t'il dit la dernière fois que vous l'avez vu?
– C'était il y a longtemps...
– Quelles ont été ses dernières paroles.




 – D'abord il faut vous imaginer que lors de ma dernière visite, j'usais de l’apparence et de la voix d'Auguste pour lequel j'ai une forte attirance au point que je me demande parfois s'il n'est pas devenu vraiment une part de moi-même... Bref, après m'avoir vertement tancé pour les questions que j'osais lui poser et s'être longuement lamenté sur son sort, il m'a dit, mais je doute qu'il s'adressait à moi car brusquement, après m'avoir regardé avec une colère impressionnante, son regard s'était détourné. Il se mit à scruter vaguement au loin hésitant entre le dessus ou le dessous de l'horizon, juste au moment où tout se confond, ce moment extraordinaire où le temps se suspend et où l'esprit détaché se prend à douter entre l'image du lever ou celle du coucher du soleil. Ce qui démontre qu'il avait perdu tout sens de l'orientation... Alors, avec une sorte de colère à peine maîtrisée il prononça ces paroles:

 "Et toi, homme, dont le nom est si grand, si tu savais ce que tu es!  (… Il s'est tu un instant, le regard vide... et puis a repris tout doucement, à peine était-ce audible...) Jette les yeux sur toi-même, tu es homme, et tu trouveras une raison de croire."*

Visiblement il avait oublié qui j'étais. Il était devenu le Réel que chacun était invité, de gré ou de force, à reconnaître comme tel.
À ses yeux je n'existais plus...

– N'est pas là ce qui marque la différence que nous avons en commun, celle qui délimite le monde des hommes et nous? 

– C'est ce que croient les hommes et, malgré tout, cela en dit long sur leurs croyances...

– Croyez-vous qu'ils aient raison?

– Ils font ce qu'ils peuvent...

– Êtes-vous fâché contre lui?

– Pas du tout, si je suis certainement dérangé par son attitude, je le plains sincèrement et je crois que son propre enfermement est précisément sa prison.


*Tertullien, Apologétique 48, 8 et 48, 5, G. Budé 1971, p. 102.





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