vendredi 15 décembre 2017

Les feux de joie de la Saint-Jean




"Qui sème peu récolte peu, et qui veut avoir belle récolte, qu'il répande sa semence en un lieu qui lui rende fruit au centuple! Car en terre qui ne vaut rien la bonne semence se dessèche et meurt."

Perceval ou le conte du Graal, Chrétien de Troyes, Le livre de Poche



À force de semer, selon ses propres dires, le Cap'tain est très fatigué. Quand cela lui arrive, il quitte des yeux et des oreilles les bas-fonds de la cale, bouche son nez et enlève son costume d'apparat ainsi que sa casquette où brillent de mille feux tous ses espoirs déçus. Il laisse tomber tous les masques encombrants et les remplace par une ample cape d'invisibilité. Il quitte ainsi le pont ou, déracinés, les gens sans terre, les ignorants, ceux qui ne savent pas encore, gigotent studieusement au gré des vagues et des humeurs. Au moindre signe ou attouchements les voilà brinquebalés d'un côté de l'autre du bateau sous l’œil des surveillants. Les leurs sont rivés sur l’horizon dans l'attente d'un jour nouveau. Pendant ce temps, le Cap'tain grimpe un à un tous les gradins qui le mènent dans les hauteurs vertigineuses vers lesquelles, tel un oiseau, il plane et où:

– "Seuls les purs ont accès".

Là, il se laisse aller aux embruns, enfin débarrassé des odeurs de l'équipage et de la masse des voyageurs parmi lesquels subsistent ceux qu'il va bientôt falloir nettoyer... D'ailleurs, il le sait, il est en accord avec ses commensaux, il sait qui il va devoir persuader et peut-être contraindre...

– Attendre... attendre un peu... que les choses se calment... on pourrait avoir besoin de lui... nous sommes si peu...

... Et il n'est pas encore nommé. Si haut déjà et pas encore reconnu...

– J'aime le nettoyage. Cela me fait souffrir pour eux, mais c'est une nécessité et c'est conforme au but élevé auquel nul ne peut se soustraire...

Le Cap'tain aime convaincre et rendre conscient. C'est le devoir qu'il s'est imposé. Qui pourrait le faire si je ne le fais pas? Se demande-t'il chaque jour.

Il faut qu'il "sache aussi que moins je le lirai et moins je l’entendrai, mieux je me sentirai"... voilà je le lui ai dit. Qu'il prenne garde:

– Ainsi finiront ceux qui me dérangent par leurs égarements...

– J'aime cela... autant que je déteste lire ce genre de délire qui circule parmi les rétifs, les déséquilibrés et les infidèles...

Son délire, à lui, se perd dans la musique des sphères et les vapeurs des feux de joie de la Saint-Jean. Il pense avec amour à cette lumière, bientôt renaissante dont il est l’humble et infatigable porteur. Il pense aussi à cette tendresse qui lui manque tellement.

– Pourquoi sont-ils incapable de voir et de comprendre que je ne désire que leur bien? Certes le bateau prend l'eau, le feu dévore nos entrailles et le vent mauvais des parleurs nous empêche de dormir et surtout de rêver... Pourquoi ne se rendent-t'il pas comptes que moi seul peut les sauver. Il suffirait qu'ils soient comme moi, ce n'est pourtant pas si compliqué et nous vivrions alors tous ensemble, tous pareil, dans un amour infini...

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