jeudi 17 décembre 2015

17 décembre (140) La porte de l'oubli

Épisode 140
 
"La justice ne tient pas à la façon dont nous punissons ceux qui ont mal agi. Elle tient aussi à la façon dont nous essayons de les sauver."

Gregory David Roberts, Shantaram

Cher Justin
 Je fus emmené avec force et grande délicatesse par des hommes, dont le moins que l'on puisse dire est qu'ils étaient bien équipés, vers un lieu tenu secret où se tint ce qui ne sera jamais, ô grand jamais, considéré comme un procès. J'avais été enfermé dans une arrière cour dont le désordre n'était guère différent de celui dans lequel je vivais depuis longtemps. Un de ces désordre dans lequel on peut trouver tout ce que l'on désire pour peu que l'on fasse preuve d'imagination et que l'on ne soit point obsédé par une trop grande rigueur quand aux perfections diverses... Revenons à ce qui ne doit pas être nommé "procès". On m'avait bien fait comprendre qu'il ne faudrait jamais que je considère cela sous cet angle. C'était, selon eux, ma seule chance de comprendre. Le moindre défaut de discipline sur ce sujet entrainerait immédiatement l’ouverture sans limite de la "porte de l'oubli". Ici telle est la loi!
Dans la pénombre, l'homme que me faisait face vous ressemblait, cher Justin. Je le dis pour me prémunir du danger de l'inachèvement. Je ne voyais presque rien de lui, à peine les fugaces scintillements des médailles qui pendaient en nombre sur sa poitrine. Elles brillaient aux rythmes désordonnées des innombrables bougies qui, pour peu que l'esprit fut bien instruit, formait un pont qui eut pu paraitre naturel au sens élémentaire, ou pour peu que l'esprit ne fut pas instruit, formaient une barrière infranchissable. En tous cas au delà du réalisme douteux de cette mise en scène, je me devais de reconnaître que je n'y comprenais rien et je dois vous avouer toute la peine que je dois mettre en œuvre pour ne pas que tout ce que je vous raconte ne dépasse évidemment pas les limites d'une réalité certes implacable, mais surtout impalpable. Tant de choses seraient à présenter qui dépassent en tous temps ce que je suis capable de vous écrire. Ce qui est cause d'un désordre que je regrette tout autant que vous. Cette succession d'actions me semblait n'être rien d'autre que la déambulation d'un aveugle dans un labyrinthe sans début ni fin devant un auditoire dont la moindre des qualités n'était pas sa surdité..

Le Grand Vigilant:
– Nous voici réunis au nom de nos principes. Ainsi nous ne pourrons en aucun cas nous déclarer juge de nos semblables. La justice n'est qu'une entité abstraite qui ne nous concerne pas. Cela ne peut exister chez nous. Certes, la justice est belle et bonne chose, mais n'améliore guère le sort de l'humanité tout entière. Certes, elle est digne de ceux qui méritent d'être appelés "philosophes". Cependant la quête d'absolu, chose si fréquente parmi eux, est source de mots si nombreux, qui peuvent avoir un nombre si considérable de significations que le temps qu'il faudrait, pour les énoncer toutes, ...encore faudrait-il que cela soit possible, équivaudrait à une condamnation à perpétuité pour quiconque les écoutait. Nous ne sommes et ne seront jamais de ceux-là. L'ordre et la raison nous commande. Le temps nous est compté. L'ordre, la raison et le temps nous dictent de nous en tenir à des faits simples et compréhensibles. Nous sommes particulièrement bien informés, Monsieur Penúl, et nous nous considérons, au vu de ces informations, que vous avez manqué à vos obligations !

Comme le plateau de la justice, ma pensée, cher Justin, hésitait et, ainsi, m'empêchait de répondre. D'un côté, avait pis place un sentiment désagréable:
– Ces affirmations peuvent en cacher d'autres, tripatouillait désagréablement une de mes oreilles.
D'un autre côté, je pensais que ce qui allait se passer ne pouvait être pire que ce que je vivait en cet instant. Ce qui chatouillait mon autre oreille de façon assez agréable...
– Et puis, d'une certaine façon, ce n'est pas vraiment moi qui suis en train de vivre ces événements. Cela devrait pouvoir me donner une certaine distance. Chacun ne peut donner que ce qu'il possède.
Au lieu de penser à voix basse, les quelques mots qui me traversèrent l'esprit traversèrent aussi la grande salle, qui à l’exception de la table devant laquelle je me trouvais d'un côté et eux de l'autre, me semblait quasi vide.
Ce qui se passa alors ne fut qu'un début et non une fin.

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