vendredi 18 décembre 2015

18 décembre (141) Des voix

Épisode 141
 
"Un dieu, ou la nature plus puissante, termina tous ces combats, sépara le ciel de la terre, la terre des eaux, l'air le plus pur de l'air le plus grossier. "

Ovide, Les Métamorphoses



Cher Justin
 Je vous l'ai dit ce n'était qu'un début... Les forces de l'ordre qui m'avaient enlevé... Je souris, pardonnez-moi, mais c'est le terme en soi qui me fait sourire: "forces de l'ordre"... Pourtant ces forces ne représentaient pas cette force, celle au caractère à la fois empirique, tragi-comique et purement spéculative que je croyais. Ce n'étaient pas vos envoyés, cher Justin. Cela je m'en suis aperçu très vite. Mais, malgré leurs uniformes, ce n'était pas la police locale non plus... Comme vous  l'avez constaté plus tard, j'avais été emmené dans des locaux aussi délabrés que ceux dans lesquels j'avais été amené à vivre depuis quelques temps. Malgré une grande capacité d'adaptation, je m'y morfondais un peu je vous l'avoue. C'est ainsi que j’entendis une voix sans savoir d'où elle sortait.
Je lui demandais:
– Qui es-tu?

La voix me répondit:
– Mon nom est Julius.
– D'où viens-tu?
– Je viens d'une histoire qui n'est pas la tienne. Et toi quel est ton nom?


La situation dans laquelle j'étais m'incitait à la prudence, aussi je fus surpris de m'entendre répondre:
– Je m'appelle Baruch.

C’était sorti comme cela, sans que j'aie eu à réfléchir. 
La voix qui m'impressionnait par sa gravité était pourtant celle d'un enfant. Entretemps, il était apparu aux barreaux d'une fenêtre donnant sur la cour. Éclairé par un chandelier dont pourtant les bougies n'étaient pas allumées, cet enfant avait un visage triste et lisse.


 Ses grands yeux bleus ne souriaient pas et semblaient perdus dans un lointain qui ne me disait rien.Et puis sans que je ne puisse rien voir, il avait disparu. Au même moment, on était venu me chercher et amené à nouveau dans cette salle à moitié vide dont je vous parlais hier.
L'homme dont je ne voyais que les médailles luisantes m'adressait la parole:


– Monsieur, nous avons fait quelques enquêtes à votre sujet. Plusieurs d'entre nous ont même procédés à des recherches assez poussées. En analysant avec soin ces enquêtes, il nous est apparu, malgré quelques zones d'ombre, que vous ne vous appeleriez pas Ante Penúl, mais Baruch. Baruch Descartes. Vous êtes le fils de Bethsabée Affinius, jusqu'à ce jour inconnue de nos services, et de Baltazar Chartaphilos, fils de l'illustre facteur Benedictus, fondateur de notre État, inusable dispensateur de bonnes paroles et que tous ici nous portons en notre cœur. Vous auriez la grande chance d'en être le descendant. Nous possédons un dossier si convainquant qu'il ne laisse guère de doute à ce propos. Cependant, il nous reste à faire la lumière sur quelques zones obscures de votre histoire. Pendant que nous œuvrerons pour votre bien, et le nôtre, vous serez assigné à résidence. Ceci ne devrait pas être considéré comme une condamnation, mais comme une chance à saisir...

Ante... Baruch ou qui sais-je encore? Je n'en croyais pas mes oreilles, cher Justin. Me voilà affublé d'un nom nouveau tout droit sorti d'un néant dans lequel je peinais à trouver un chemin.
Enfermé dans un taudis. Oublié du monde des vivants, moi Baruch, puisque tel est désormais mon nom, j'essaie vainement de m'y retrouver. Une aube s'est levée sur les vestiges d'un royaume poussiéreux.

– Ce ne peut être pire que le chantier duquel j'ai été emmené par un homme que j'ai fini par tuer.

Je ne sais si c'est vous, cher Justin, qui me soufflez la réplique. Je suis, je vous le confesse, un peu perdu. Mes pieds et ses mains sont liés. Une grosse corde est nouée autour de moi. Devant moi, laissés à l'abandon, s'étalent les restes oubliés et branlants de ce qui pouvait avoir été un atelier. Sous la poussière gisent encore les outils désaccordés et dispersés de quelque artisan disparu.

– Je dois supposer que mon piège a fonctionné. Je fais maintenant partie d'une histoire que je ne connais pas mais que je leur ai moi-même livré. Ils ont fait des recherches à propos des photos que je me suis approprié et que je leur ai montré par le biais de leurs cameras qui me suivaient pas-à-pas. Par ce fait, bien que prisonnier et incapable du moindre mouvement, je me sens libéré de mon passé. D'une certaine manière, je suis devenu un homme libre. 

Brusquement, comme si je me réveillais, j'avais été ramené à la réalité:
– Vous progressez déjà Baruch.

Une autre voix s'est faite entendre que je ne pouvais discerner et dans une sorte de transe, oubliant ma peur j'interrogeais à mon tour:
– Qui parle ainsi?

Curieusement la voix me répondit:

– Un homme qui cherche dans les ténèbres...



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