dimanche 27 décembre 2015

27 décembre (154) Un peu de jeu

Épisode 154

"Tu vivras pareil à un lièvre, dans la peur perpétuelle d'être englouti par le plus fort."

 Lucien de Samosate
Le songe
Ou la Vie de Lucien

 


– Que vous a dit votre maître?
– Je ne puis vous dire ce que je tiens de sa bouche...
– Pourquoi cela?
– Parce que pour moi, en tant que chien, ce ne sont que des sons. Une musique si vous préférez.
C'est l'énergie qui la porte et non les notes qui me parlent.
Elle accompagne leur danse qui, elle aussi et avant tout, me parle.
L'inspection de l’esprit n'est pas chose aisée,
celle des corps va bien plus vite et ne se laisse égarer par certains artifices...


Cher Justin
Vous le savez mieux que moi, Auguste mon compagnon perroquet, vous a échappé. Je le sais de source sûre. Mais il se pourrait que cette source soit tarie... Tout va si vite... Ceux qui m'ont informé ont, à leur tour, disparu. Et je ne pense pas qu'ils puissent, eux, "faire désertion", comme vous dites. Seriez-vous pour quelque chose dans cette nouvelle disparition? Vous ne voyez pas ce à quoi je fais allusion. Ce serait une une dérive fictionelle ou un dérangement du cerveau... Je vous remercie, mais j'en doute et le doute ne vous profite pas. Mais laissons cela. Parlons plutôt d'Auguste que vous n'avez pas épargné, il me semble. Comment, vous ne l'avez pas touché? Je connais cette musique, mais surtout sa source. Pour ce que je peux en juger... "celui qui juge les gens n'aura pas le temps de les aimer"*, ce que vous dites ne sont que des mots. Ce ne sont pas les vôtres et vous savez très bien les prendre là où ils sont et vous les approprier sans scrupules. Hélas, votre parole, si elle sait se placer et flatter n'a plus beaucoup de poids dans la balance... tout au plus le poids d'une demi-vérité, c'est-à-dire celui d'un mensonge... Vous savez, cher Justin, je me demande si je ne préfère pas les mensonges qui forment une histoire "véritable", aux demis-vérités qui racontent un vrai mensonge... Vous n'aimez pas ce que je vous dis. Vous avez raison, je ne vous les dis pas pour cela. Je vous les dis pour établir une vraie dispute. Je vois un de ces sourires "mystérieux et repus qui s'installe sur votre visage... Vous semblez satisfait. Comment? Le masque serait tombé. Mon masque? Vous vous trompez lourdement cher Justin, c'est du vôtre que je parle... mais j'admire la façon dont vous savez, avec si peu, si bien court-circuiter. L'habitude certainement, mais à ce point je vous admire... Seulement, je vous l'avoue, je ne m'y habituerai jamais. Tant pis. Puisque nous en sommes, déjà à la cour de récréation, recréons! J'en étais à la dispute que vous pratiquez si bien... en la niant... en la taisant et, avec une science consommée, que vous faites apparaître dans la bouche de qui ose s'opposer... Le tour est joué. Les apparences sont sauves. Quel magnifique théâtre et dans lequel vous apparaissez comme le héros. Et tout le monde d'applaudir comme un seul homme se voyant dans le grand miroir! Seulement, vous le savez, tout cela a un prix: le silence. Le silence et le secret. Le silence, le secret et la censure entrelacés, entretissés... Le silence est le secret. Le silence, le secret est la censure...
Vous ne comprenez pas? Vous faites semblant cher Justin. Nous sommes entre nous. Laisser entrer un peu de jeu dans la conversation. De quel jeu s'agit-il? Ce jeu n'a pas de nom, je pensais juste au jeu qui est nécessaire dans tout mouvement mécanique. Celui qui, même infime, permet le mouvement... Et si vous voulez que notre conversation se mette en mouvement, nous devons tous deux laisser se faire un peu de jeu... Vous ne voulez pas? Tant pis pour vous. Je n'ai qu'à venir à vous et alors seulement. vous joueriez! Je n'en doute pas mais alors, à quel jeu jouerions-nous? Vous et moi seul le savons bien. Et à ce jeu, personne, hormis vous, n'en connait les vraies règles... Comment? Personne, sauf peut-être moi, vous me flattez, mais je n'y crois guère... C'est ce qui s'appelle du jeu, dites-vous. Oui, après tout c'est sûrement un peu vrai... En tous cas cela y ressemble. Pardonnez mes hésitations, de mon point de vue elles sont nécessaires si ce n'est vitales. C'est "pas du jeu"! Ah! Que vous êtes devenus rapide. Presque loquace...  Eh bien, à votre tour vous devrez prendre ces hésitations "pour du jeu".


* Mère Teresa

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