dimanche 20 décembre 2015

20 décembre (143)

Épisode 143

«Que j’ai commencé tard à vous aimer, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! que j’ai commencé tard à vous aimer ! Vous étiez au-dedans de moi ; mais, hélas ! j’étais moi-même au-dehors de moi-même. C’était en ce dehors que je vous cherchais. Je courrais avec ardeur après ces beautés périssables qui ne sont que les ouvrages et les ombres de la vôtre, cependant que je faisais périr misérablement toute la beauté de mon âme, et que je la rendais par mes désordres toute monstrueuse et toute difforme.»

Saint Augustin, in Confessions (399)
 
 
 


Cher Justin
Julius et moi avions des opinions et un degré d'intelligence fort différents, ce qui se comprend au vu de notre différence d'âges. Cependant, comprenez-vous... au vu des circonstances, il m'est tout de suite apparu que celles de Julius avaient un poids qui contrastaient avec sa taille et son jeune âge. Comprenez-vous que cette différence n'est en rien celle que vous pourriez imaginer... et telle que je me sentais même pas assez âgé pour en comprendre le sens. J'ai su, sans savoir comment et pourquoi, qu'elles marqueraient, au moment où il le déciderait, la fin de toute discussion. Je ne pus m’empêcher de me faire la réflexion suivante:
– Cela a pour mérite d'être clair et de sembler logique sans pour autant, je dois l'avouer, que rien ne soit éclairé du tout.

Ce n'était qu'une pensée que j'eus voulu garder pour moi-même. Mais, encore une fois, un léger frémissement était sorti de ma bouche mal fermée. Il n'échappa pas à la vigilance et aux capacités auditives exceptionnelles de Julius. Et c'est naturellement qu'il me répondit:
– Entrez, suivez-moi ! Faites comme chez vous. Vous ne savez à quel point...

Il s'interrompit. Brusquement. Il posa un doigt sur sa bouche et me barra le passage avec son bâton et me dit calmement:
– J'entends mais ne veut voir ni ne peut dire ce qui, en mon cœur, autrefois me ravissait.

Je ne comprenais pas:
– Pourquoi cela?

– C'est justement ce que je ne veux et ne puis dire. J'en ai fait la promesse.


Le mystère, loin de toute lumière, s’épaississait à vue d’œil...
- En somme, on pourrait dire que tu es prisonnier de l'intérieur et que moi je serais prisonnier de l'extérieur.


Julius ne répondit pas. Parler ne l'intéressait tout simplement pas.
Cher Justin il se passe une chose étrange, là, à l'instant où je vous écris. Tout me revient, non pas comme quelque chose, quelque événement qui se fut passé, mais comme si cela se produisait sous mes yeux:
Julius se faufile entre les barreaux et avec une agilité surprenante, il se saisit du chandelier, se débarrasse des planches encombrantes et se met à marcher de long en large sur l'échafaudage qui manque à tous moments de s'affaisser.

– Venez avec moi et je vous montrerai que vous vous trompez. Il n'y aucune différence entre ce qui dedans et ce qui est dehors et je ne suis, pas plus que vous-même, un prisonnier. Du moins au sens que vous accordez à ce mot.

Je ne savais que penser... même si penser était la seule chose qui me restait. Entravé comme je l'étais c'était le seul mouvement qui m'était permis. Du moins le pensais-je...


"Le chaos étant ainsi débrouillé,
les éléments occupèrent le rang qui leur fut assigné,
et reçurent les lois qui devaient maintenir entre eux une éternelle paix.
Le feu, qui n'a point de pesanteur,
brilla dans le ciel, et occupa la région la plus élevée.
Au-dessous, mais près de lui,
vint se placer l'air
par sa légèreté."

Ovide, Les Métamorphoses

La lumière de la lune creuse et déforme les ombres qui se répandent sur mon visage. Je ne pouvais donner suite à l'accueil et à l'invitation de Julius et pensait pour moi-même:
– Comment puis-je, en si peu de temps, être devenu à l'image d'une si grande déchéance?
Puis, dans l'enchaînement, à haute voix, m'adressant à Julius qui disparaissait par le soupirail d'où il était venu:
– Comment pourrais-je te suivre si je suis entravé de pareille façon ?

Dans l'ombre, sa voix mes parvient déformée. Profonde, rauque et un peu traînante. Je me mets à douter. Je ne sais si c'est vraiment lui qui parle:

– Rien n'est plus simple, levez-vous et vous verrez alors que rien de ce que vous pensez ne résistera au mouvement.
 

«Ah ! si de ce soupçon votre âme est prévenue,
Pourquoi nourrissez-vous le venin qui vous tue ?»

Racine, Britannicus


À peine m'étais-je redressé que la corde qui m'entravait, tel un reptile glisse sans un bruit, pour se coucher à mes pieds.

– Se pourrait-il que d'un simulacre j'aie été l'otage? Comment cette corde dont je porte l'empreinte gravée dans ma chair, a pu, d'un mouvement si fluide, se retrouver ainsi sans effet?

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