mardi 15 décembre 2015

Une porte ni haute, ni basse (138)

Épisode 137
 
"Car les chants arrachés à l'âme trop brûlante
Les accents bégayés par la bouche tremblante
Tantôt frappés de mort et tantôt couronnés
Au gouffre de l'oubli sont toujours destinés"

Goethe, Faust, Prologue sur le théâtre
 


Cher Justin

Il est des choses et des sentiments qui ne peuvent être dits, soit par manque de temps, soit par manque d'à-propos, soit simplement parce qu'ils risquent d'être mal interprétés. J'ai le sentiment qu'en ce qui vous concerne c'est tout cela à la fois... La porte du taudis que j'habitais, qui était barrées de planches clouées m'obligeait à des contorsions plus vraiment de mon âge. L'image que je vous joins ne le montre pas très bien mais tant pis il faudra que vous mettiez en route cette imagination que je vous connais, même si je suis malgré tout assez surpris de voir combien elle peut être différente de la mienne. Mais, pour en revenir à cette porte et surtout aux mouvements auxquels elle me forçait, étaient une sorte de gymnastique qui, à défaut de me ravir, me ravivait plus qu'elle me gênait. Cette suite de mouvements procédait par vagues qui ont toutes pour effet de nous perdre et pour se ressaisir de nous périodiquement. Cette porte à moitié fermée était devenue une sorte de symbole dont j'étais la part manquante. Une part changeante et mouvante. Elle avait préservés et ravivés ces touchants secrets qui ne s'ouvrent ni ne se referment jamais. Elle m'obligeait, dans un seul et même mouvement à m'élever, à me prosterner et, à la fois, à penser à une sorte d'accouchement... en public de surcroît... S'il y a bien des mouvements qui nous"constituent" ce seraient bien ceux-là... Ne trouvez-vous pas? Vous ne n'aimez pas parler de cela? Il faudra tout-de-même que nous abordions le sujet, vous le savez bien, cher Justin.
À propos, cher Justin, où en est votre enquête à propos de cette mascarade dont vous me parliez et où vous auriez retrouvé les gants que vous m'aviez offerts? Vous allez m'en dire plus quand je vous rencontrais au chevet d'Auguste... Oui, c'est probable... bien que je ne me sois pas encore tout-à-fait décidé. Vous ais-je dit que je croise régulièrement vos chiens dans la rue? Ah! Ils vous l'ont dit...
Comment? Vous auriez participé aux recherches... Alors là vous m'étonnez. Mais auriez vous l’obligeance de me préciser de quelle recherche vous me parlez? La mienne ou celle qui concerne cet épisode tragi-comique qui s'est passé sur l'île? Il s'agit de cette dernière. Oui, vous me rassurez mais vous m'étonnez d'autant plus! Comment? Longtemps vous avez marché! Vous avez grimpé des chemins pentus, parfois trébuché sur des cailloux... et des ponts branlants et bruyants... mais vous y êtes arrivé. Où? Vous ne voulez pas me répondre... je le sens bien. Comment dites-vous, je vous entend à peine..? À bout souffle, les poumons en feu, les pieds écorchés, la chemise en lambeaux! Ah bravo! Malgré le brouillard épais qui vous fit penser que vous étiez "comme un aveugle" tous les muscles du corps tendus entre deux pas... Dans un infini inconnu! Comme vous y allez! Et vous aussi vous avez ressenti ce dont je viens de vous parler... Vous savez... la porte. L'image qui se présente à mon esprit est magnifique. Et alors qu'avez trouvé dont vous ne m'avez encore parlé?

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