dimanche 28 janvier 2018

Phantasia


" Quels que soient les objets de notre prédilection et de notre attachement, ou ceux qui nous ont tenus longtemps occupés, et qui ont exigé de notre esprit une attention particulière, ce sont ceux-là mêmes que nous croyons voir se présenter à nous dans les rêves. L’avocat rêve qu’il plaide et confronte les lois, le général qu’il bataille et se lance dans la mêlée ; le marin qu’il continue la lutte engagée contre les vents ; et nous que nous poursuivons notre ouvrage, que nous explorons sans relâche la nature, et que nous exposons nos découvertes dans la langue de nos pères. Toutes les passions, tous les sujets d’étude, occupent ainsi de leurs vaines images l’esprit des hommes dans les rêves. Vois tous ceux qui pendant de nombreux jours ont été les spectateurs attentifs et fidèles des jeux du cirque ; quand ils ont cessé d’en jouir par les sens, le plus souvent il reste encore dans leur esprit des voies ouvertes par où peuvent s’introduire les images de ces objets. Aussi pendant bien des jours encore, ces mêmes images rôdent devant leurs yeux, et, même éveillés, ils croient voir des danseurs se mouvoir avec souplesse ; leurs oreilles perçoivent le chant limpide de la cithare et la voix des instruments à cordes, ils contemplent la même assemblée, et voient resplendir en même temps les décors variés de la scène. Telle est l’influence des goûts, des plaisirs, des travaux habituels, non seulement chez les hommes mais même chez tous les animaux."

Lucrèce, De Rerum Natura, IV, traduit par Alfred Ernout, Les Belles Lettres, 1930




Comme le dit Rainer Maria Rilke dans ses «Lettres à un jeune poète»,"s'il nous était possible de voir au-delà des limites où s'étend notre savoir, et encore un peu plus loin au-delà des contreforts de nos intuitions, peut-être alors supporterions-nous nos tristesses avec plus de confiance que nos joies. Elle sont, en effet, ces instants où quelque chose de nouveau a pénétré en nous, quelque chose d'inconnu; nos sentiments font silence alors, obéissant à une gêne effarouchée, tout en nous se rétracte, le silence se fait, et ce qui est nouveau, que personne ne connaît, se tient là, au centre, et se tait."
 
Pinocchio, bien des années après qu'il opéré ce changement inouï qui consiste à passer d'un état à un autre... et qui, mû par une saine curiosité s'est mis en route sur le chemin de son passé et dialogue joyeusement avec celui qu'il a été.


– Qu'est-ce donc que la "phantasia"?
– Certains disent que c'est l'imagination...
– Croyez-vous que ce soit une faculté de produire des images?
– Que voulez-vous dire par là?
– Je veux dire que ce ne serait pas suffisant de voir le monde...
– Tel qu'il est?
– C'est un peu cela, sous-entendu le fait que les images seraient là... sous nos yeux...
– Et alors?
– Eh bien, qu'il soit possible que cela ne serait pas suffisant...
– Suffisant pour quoi?
– Pour voir le monde.
– Mais le monde est là, sous nos yeux!
– C'est là que le bât blesse...
– Expliquez-moi!
– Cela ne serait pas suffisant...
– Pour qu'il, le monde, soit visible...
– Et, selon vous, ou votre maître, que faudrait-il pour qu'il soit visible?
– Il faut s'en faire une image.
– Et comment devrions faire?
– En utilisant notre "capacité imageante"... notre fantaisie.
– ... et que de ce monde nous le déformions par des images qui lui ressemble mais sans qu'il n'y soit pour rien en quelque sorte.
– C'est impossible, me semble-t'il.
– Pourquoi serait-ce impossible?
– Parce que toutes les images sont inventée, selon ce que m'a appris mon maître....
– Comment cela?
– L’imagination est le seul moyen pour voir le monde. Sans elle le monde ne se voit pas.
– Tout de même, si cela était, à quoi nous serviraient nos yeux?
– Les yeux nous servent à nourrir notre imagination ou au moins à la stimuler.
– Serait-ce cette  faculté de produire des images qui sont le reflet de ce que nous avons vu de notre plein gré mélangées à celles qui se sont introduites sans même que nous nous en rendions comptes?


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