mercredi 10 janvier 2018

Puissance passagère


"Le plus gros vaisseau de ces pirates était commandé par un capitaine japonais qui parlait un peu hollandais: il vint à moi; et, après m’avoir fait diverses questions, auxquelles je répondis très-humblement, il m’assura qu’on ne nous ôterait point la vie. Je lui fis une très-profonde révérence; et, me tournant alors vers le Hollandais, je lui dis que j’étais bien fâché de trouver plus d’humanité dans un idolâtre que dans un chrétien; mais j’eus bientôt lieu de me repentir de ces paroles inconsidérées; car ce misérable réprouvé ayant tâché en vain de persuader aux deux capitaines de me jeter dans la mer (ce qu’on ne voulut pas lui accorder à cause de la parole qui m’avait été donnée), il obtint que je serais encore plus rigoureusement traité que si on m’eût fait mourir. On avait partagé mes gens dans les deux vaisseaux et dans la barque: pour moi, on résolut de m’abandonner à mon sort dans un petit canot, avec des avirons, une voile et des provisions pour quatre jours. Le capitaine japonais les augmenta du double, et tira de ses propres vivres cette charitable augmentation; il ne voulut pas même qu’on me fouillât. Je descendis donc dans le canot pendant que mon Hollandais brutal m’accablait de dessus le pont de toutes les injures et imprécations que son langage lui pouvait fournir.
Environ une heure avant que nous eussions vu les deux pirates j’avais pris hauteur, et avais trouvé que nous étions à quarante-six degrés de latitude et à cent quatre-vingt-trois de longitude. Lorsque je fus un peu éloigné, je découvris avec une lunette différentes îles au sud-ouest. Alors je haussai ma voile, le vent étant bon, dans le dessein d’aborder à la plus prochaine de ces îles, ce que j’eus bien de la peine à faire en trois heures. Cette île n’était qu’une roche où je trouvai beaucoup d’œufs d’oiseaux : alors, battant mon fusil, je mis le feu à quelques bruyères et à quelques joncs marins pour pouvoir cuire ces œufs, qui furent ce soir-là toute ma nourriture, étant résolu d’épargner mes provisions autant que je le pourrais. Je passai la nuit sur cette roche, où, ayant étendu des bruyères sous moi, je dormis assez bien."

Les voyages de Gulliver, Jonathan Swift



Pinocchio, l'Autre, et Pinocchio qui croit être "l'Autre" s'adonnent aux joies de l’escalade. Ils grimpent un à un les étages d'une terre inconnue.



– Voyez-vous ce que je vois?
– Je ne sais rien de ce que vous voyez.
– Voyez-vous au loin ce qui revient?
– Est-ce notre bateau?
– C'est en tous cas ce qu'il semble...
– Il me semble que sa démarche ressemble plus à une dérive, au sens propre du terme qu'à de la navigation...
– Il n'y a rien d'exceptionnel à cela...
– Et c'est ainsi qu'il fait le moins de vague...
 – Certes mais qu'en est-il de la beauté?
– Au fil du droit et en l’absence de toute beauté, le poids du nombre, puissance passagère, l’emporte. 
 – Que reste-t’il alors?
– Peut-être une sorte de déséquilibre...

Sur le bateau, on est en plein imbroglio. Difficile de s’y retrouver parmi les souvenirs, tous sujets à caution. Au gré de la parole donnée, Platon peine à suivre les courants, d'autant plus que la mer elle-même ne se prive pas de secouer l'équipage et son capitaine.


– Si les perspectives se modifient ce n'est pas sans intérêts.


Sans autres préliminaires, revenons quelques mois en arrière, au temps des passions contagieuses.
Sur le point d'expier durement, cruellement… peut-être aussi justement, par certains côtés… les libertés de langage qu'il s'était lui-même attribuées, Platon sait se faire discret et sait aussi qu'au travers des surprises et des péripéties toujours nouvelles il se peut que se fasse jour une immensité cachée non par la réalité mais tout au contraire par une sorte d'imagination à l'envers qui ne fait rien apparaître mais au contraire masque en l'attirant à la manière dont on imagine que fonctionnent les trous noirs. Ainsi se dérobent et disparaissent en permanence des pans entiers de manifestations que l'on a  peine à imaginer, par manque d’habitude ou simplement par épuisement.

Aucun commentaire: