jeudi 4 janvier 2018

Comme paradis perdu


" L’enfance en tant qu’elle est appréhendée par les écrivains adultes comme une sorte de silence primitif, de mutisme originel, qu’il appartient à l’écrivain de faire parler en lieu et place de l’enfant et au prix de ce qui peut apparaître comme une forme de trahison. Celle par laquelle l’adulte se substitue à l’enfant, parle en lieu et place de celui-ci. Une enfance dont il a le sentiment d’avoir été chassé, expulsé, d’où cet imaginaire nostalgique, mélancolique de l’enfance, comme paradis perdu."

Philippe Forest




– Dites-moi, cher Nounours, qu'est-ce qu'un paradis perdu?

– Il en existe des quantités et tous ne sont pas semblables... et , à première vue, ne mérite point la même définition que le mot et surtout le concept de "paradis". Mais tous se rapportent à un temps qui n'est pas celui qui est le nôtre.

– Vous parlez du nôtre... est-ce bien du "nôtre" qu'il s'agit? De nous, pauvres et imaginaires personnages en lesquels ne vivent que les pauvres sentiment que l'on projettent quand ceux qui devraient nous être proches ne le sont guère. Dans ce temps "hors du temps"... enfin... qui n'a "lieu" que hors du temps...


" La bande de criminels qui m'a recueilli dans la forêt était constituée de gens qui n'étaient pas des gens faciles. On peut dire qu'ils étaient violents et se comportaient avec violence à mon égard. Mais c'est chez eux, auprès d'eux, que j'ai réussi à protéger l'enfant qui est en moi, cet enfant qui avait gardé un immense espoir: que cette vie de criminel n'était que temporaire. Et qu'après la guerre, je deviendrai ce que mes parents avaient espéré que je sois, c'est-à-dire un intellectuel européen. [...] Sans le savoir, les voyous avec lesquels j'étais m'ont inculqué les prémices de ce que peuvent être des règles d'écriture: ne parle pas lorsque le besoin ne s'en fait pas ressentir, ne dis que des choses de façon brève et concise, tais-toi lorsqu'il n'y a pas lieu de parler... Et ils se comportaient comme ça. Ils appliquaient eux-mêmes ces règles et sans le savoir j'ai accueilli en moi cette graine qui a poussé ensuite et qui m'a servi au moment où moi-même j'ai commencé à écrire."

Aaron Appelfeld


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