mardi 25 juin 2019

(25) Des règles floues


« Petite ivresse ou hébétude un peu inquiète, ou dégoûtée, lasse, angoissée, quand on referme le livre; et la platitude et le caractère absolument dénué de sens, purifié, du monde ainsi perdu, dans le monde regagné, semble l’image symétrique de ce que l’on ressent, parfois, lors de déception où versé la fin brusque de l’amour, le corps nu soudain recouvrant la perception de son état noyé de nouveau dans l’air qui l’entoure. Dans ce deux cas le mot (la fiction) de «réel» ne signifie qu’une chétive violence confisquée, turbulence perdue.
De même le plus bref des mots, dans son usage le plus simple, sacrifie son objet dans une formulation particulière. Expérience qui a été convertie en signe, en «mort» tel le souvenir qu’on gardait encore, il y a quelques siècles, d’un dieu, sur le tau d’une croix.
Mais sacrifices plus grêles et plus palpables au cours de la lecture, dont la hache sur nous est la langue dont nous faisons l’objet: les rituels personnels et incessants auxquels nous déférons sans cesse, les tours que notre manie ne supporte pas, les images que nous récusons, les mots que nous haïssons, ou les niveaux de langue dont l’emploi nous répugne ou que nous proscrivons. Chaque phrase est le reliquat d’une combustion linguistique dont l’étendue, si nous la comparons peu qui en résulte, confond par sa disproportion.  Mais nos têtes avant, à l’intérieur de nos têtes avant, à chaque instant lavées du sang d’un sacrifice plus obscur, plus opiniâtre, et plus étendu encore.»


Pascal Quignard, Petit traité I, Folio, p.278





– Je dois donc... je devrais dire... en partant de votre postulat, que vous n'êtes, vous-même, point innocent en disant cela! 
– Nous ressemblons tous à notre maître...
– Il y a comme un léger regret dans votre voix...
– C'est vrai.
– Il y a peu vous me demandiez si je lui avais déjà menti?
– E je vous ai répondu que le mensonge tout comme la comédie implique le jeu…
– Vous étiez bien vague.
– Parce que les règles sont floues…
– Pensez-vous encore que le mensonge soit une comédie?
– Plus que jamais et plus  encore...

– Et vous ajoutiez: la comédie est-elle un mensonge?
– C'est cela et dire, ou poser la question si chaque mot ne contient-il pas sa petite part d’authenticité? montre bien que le reste est une sorte d'imposture...
– Si c’est le cas, alors la comédie n’est pas seulement un mensonge!
– Et le mensonge n’est pas forcément une comédie. Il peut, en certains cas, aussi être un drame…
– … et le drame, en certain cas, peut…
– … être une comédie!
– On n’en sort pas!
– C’est ce que je vous disais...

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