(16) Mot de passe

– Tout est affaire d'imagination!
– Vous me l'avez déjà dit...
– Je le répèterai autant qu'il le faudra.
– Jusqu'à ce...
– Jusqu'à ce que nous ayons reconstitué entièrement cette histoire...
– C'est impossible.
– Pourquoi cela?
– Parce que nous n'en verrons pas la fin.
– Peu importe. Nous ferons ce que nous pourrons.
 – Et comment pourrions-nous la communiquer entièrement?
– Devinez!
– Je voulais dire comment pourrions-nous communiquer ce qui a disparu de nos mémoires?
– Nous en avons déjà parlé. 
– Vous parlez de ce petit décalage qui fissure l’image...
– C'est cela.
– Mais, les mots ne sont pas des images...
– Ils se fissurent aussi... On peut en discuter... mais une chose est certaine, les mots produisent des images et à leurs tours les images produisent des mots. Tous, images et mots se fissurent ouvrant une sorte de passage qui n’a rien à voir avec la perfection du miroir.
– À quoi cela sert-il?
– Ce passage permet de sortir de l’image ou du mot pour mieux y entrer.
– Il faudrait savoir?
– C'est ce savoir qui importe.
– Y entrer différemment?
– C’est cela même.
– Comme le son de notre voix qui contient, selon ce que vous m’avez expliqué, et cela malgré la qualité de notre imitation, la possibilité, pour qui est à l’écoute, de prendre mesure et distance.
– Magnifique, vous voyez quand vous voulez...
– Je ne vois pas seulement, j'entends...
– Mais vous oubliez une chose.
– Laquelle ?
– Celui qui parle et donc agit pour celui qui écoute peut aussi profiter pour lui-même de ces failles qui se créent.
– De la même manière que notre maître?
– Un peu, c'est possible, mais je ne le dirai pas ainsi. Je dirai que le principe est le même et ce principe permet la distanciation...
– Et l’approfondissement...
– Vous m’étonnez toujours plus.
– Je vous remercie. Et si nous parlions de cette distance et de l’approfondissement. Toutes deux parfaitement accessibles par le mot de passe.
– Comment avez-vous appris cela?
– C’est notre maître...