lundi 15 janvier 2024

Une simple larme

« Il y a cette autre question posée par Wittgenstein qui vise à déterminer quand l’enfant sait qu’il rêve? À partir de quand cette succession de séquences d’images qui envahissent son esprit est-elle renvoyée à un ailleurs du réel? Que ces images soient indépendantes de la conscience, dans le rêve proprement dit, ou plus ou moins guidées par elle dans la rêverie, que l’on peut concevoir comme une mise en scène. Nous sommes alors non plus dans un processus extérieur de saisissement des choses en images, mais dans un moment du réel où l’image possède la même «naturalité» que le concept. Il n’est pas sûr alors que la prévalence accordée à celui-ci obéisse à ce qu’il serait une construction plus élaborée de la réalité; la fascination viendrait-elle de ce que l’image est dans la ressemblance et que le concept est d’ailleurs?

Louis Ucciani, Image et représentation




Soit sous l'effet du vent qui soufflait modestement, soit sous l'effet d'une tristesse passagère, toujours est-il qu’Ulysse laissa échapper une petite larme. Bien que cette larme, conformément à sa nature, soit salée, l'effet qu'elle fit en tombant sur la plante, fut... des plus surprenant… Instantanément, un nuage de parfum se répandit sous nez, l’image de la plante, en lui, produit une telle trace qu’il en est comme fasciné. Quelque chose, réellement en lui grandit… et dans le même temps, comme si la plante, devant lui, devenait l’image de ce qui en lui se transforme. Une troisième feuilles apparaît pendant que la deuxième se développe…

« Jacob accueille la Tristesse comme un compagnon merveilleux, un prochain qui offre tellement par sa venue qu'il lui donne instantané ment tout ce qu'il possède; ainsi de la dette éprouvée à son égard, nous glissons vers l'idée de don, en trans. formant sa venue-à-nous (soit la venue de l'autre) en don authentique de nous-mêmes (soit la venue-à-soi de l'un). Sur le tapis de prière, Jacob reçoit la Tristesse comme un don et non plus comme une dette; par la venue de l'autre, de cette chute de la Tristesse divine, Jacob vient à lui, c'est-à-dire découvre l'émotion triste qui l'étreint, à savoir l'émotion réflexive. En donnant «tout ce qu'il possède» à la Tristesse, Jacob offre à l'émotion triste l'intégralité de sa personne, son intériorité; il sacrifie sa contemplation à la tristesse si bien qu'elle devient indistincte de sa réflexion et du regard contemplatif qu'il porte sur les choses: faire présent de l'éclat de ses yeux noirs, c'est mettre à la disposition de l'émotion triste sa vision des choses, son appréhension du réel, et atteindre ainsi leur fondement par le biais d'une émotion réflexive. La Tristesse est alors au fondement de la connaissance éthique du réel: l'éclat des yeux devient lumière d'eau, transparence des larmes, réflexion sur les reflets, sur les formes imaginales. Sohravardi parle de «chagrin», mais cela n'a rien de douloureux. C'est au contraire l'expression d'une confiance et d'une confession de la part du fidèle envers Nostalgie. C'est en pleurant, en éprouvant l'émotion du fondement, ou encore en recueillant en son sein la réalité fondamentale, autrement dit en en faisant sa propre demeure (la maison de l'âme est «maison des chagrins» qui est à son tour maison du réel), que Jacob découvre l’approche authentique du réel.»

Cynthia Fleury, Métaphysique de l’imagination, p.554



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