Une vie errante

– Qui est cet explorateur?

– Ne le reconnaissez-vous pas?

– Pourquoi le devrais-je?

–  Parce qu’il nous arrive souvent d’en parler…

– Je ne vois pas… sauf, peut-être …

– Sauf?

– … cette exaltation maladroite et quelque peu angoissée me dit quelque chose...

– À qui pensez-vous?

– Si je le connais… et si je fais abstraction de nombre de détails ce ne peut être que Don Carotte…

– Je vous félicite, pour ma part, je n’aurais point trouvé sans l’aide de notre maître…

– Que vous a-t-il dit? Que fait Don Carotte sur cette île? Racontez-moi…

– Don Carotte, me disait notre maître, quand il était encore relativement jeune était une sorte de grand lecteur…

– Je croyais que…

– Ne croyez en rien… laissez-vous guider par les mots qu’employa notre maître, comme moi-même je le fis…

– Dites-moi…

– Ce qu’aimait Don Carotte dans la lecture était ce qu’il nommait la vie errante des mots et des discours.

– Comment voyait-il cela?

– Il ne le voyait pas… il l’entendait!

– Comme nous entendons la voix de notre maître!

– C’est un peu cela… mais en plus compliqué!

– Comment cela peut-il être…

– Nous savons, à force de répétitions, que nous répétons… ce qui n’est pas le cas de Don Carotte, car lui lit et voit dans les mots la réalité de ses désirs … et lui n’entend pas la voix de notre maître!

– Mais alors, si vous me le permettez, j’essaye de comprendre… il serait… voyez-vous… quelque peu… quand même dans une situation semblable à la nôtre…

– Je ne vois pas!

– Eh bien il serait dans un monde fait de mots et de discours comme nous sommes dans un univers d’images…

– Il y a une différence presque indépassable…

– Laquelle?

– Don Carotte, lui vit dans deux mondes… un premier fait de mots, comme nous l’avons dit, mais il vit aussi dans le second… qui est un monde parfaitement visible et qui me semble bien réel…

– Aussi réel que le nôtre et…

– Et?

– Et qui ne peut se passer de mots…