Obscure danse

 « Rien de ce que je fais n'a de sens, si la maison brûle. » Pourtant, alors que la maison brûle, il faut continuer comme toujours, à tout faire avec précision et soin, peut-être de façon plus studieuse encore - même si personne ne devait s'en rendre compte. Il peut arriver que la vie disparaisse sur Terre, que plus aucune mémoire ne demeure de ce qui a été fait, ni du bien, ni du mal. Mais toi, continue comme avant; il est trop tard pour changer, il n'y a plus de temps.

Gorgio Agamben, Quand la maison brûle, Rivages, p.7

 

 

 

Carnet de l’Enfant Lune

Quatrième page. Où, après être devenu comme Sisyphe, il est question d'étincelle...

 

Me tenir debout fut un long apprentissage. Cruelle et incertaine danse avec l'obscurité. Dans le peu que je croyais voir je ne distinguais rien. Je m'aidais de mes mains du mieux que je pouvais. Dans la nuit qui était mienne la moindre parcelle de lumière, la moindre étincelle agissait comme un déclencheur et dans les méandres obscurs allumaient une mèche invisible.

 

 

 

 

Au fil du temps, des sons lointains commencèrent à émerger de l'obscurité. Je commençais à percevoir les murmures du monde qui m'entourait. Mes oreilles devinrent mes guides, captant les vibrations du sol, le chuchotement du vent, les indices subtils d'une vie cachée dans les ténèbres. Pourtant les ténèbres persistaient, parfois plus épaisses que jamais. Il suffisait que, presque par hasard, à force de tournoyer sans fin, mon regard se pose sur une infime lumière pour qu'elle grandisse. Mon regard, tel une loupe trop longtemps posée s’embrasait et je risquais l'aveuglement. Mes yeux se fermaient. Alors l'image, peu à peu, retrouvait une sorte de netteté. C'était comme si elle naissait de l'intérieur. Et puis tout recommençait… Je ne sais ni combien de temps cela dura ni comment cela s’était apaisé. Un jour je me suis retrouvé allongé, me réveillant comme après plusieurs années de sommeil. Aussitôt je me levais avec le sentiment étrange d'être comme un nouveau-né. Mais je vais un peu vite en besogne...