vendredi 22 décembre 2023

Prison


« On s’attend d’ordinaire à ce qu'un tracé d'écriture soit en accord avec le sens des mots qu'il fixe sur le papier et que la mise en page soit en accord avec la signification du texte. De même, on sait que la matière du support et des tracés peut contribuer à éclairer un texte, dont elle enrichit ou explicite la signification par le biais de ses complicités avec le message linguistique. À l'inverse, il peut advenir que la matérialité d'un texte soit en contradiction avec le texte et puisse même le démasquer comme un faux. Le cas que je présenterai ici est d'une autre nature: ce n'est pas le texte lui-même, mais plutôt le témoignage de l'auteur sur les circonstances de la genèse qui se trouve directement mis en cause par le dossier génétique. Et ceci par le plus direct des moyens: l'existence pure et simple d'un dossier, alors qu'elle est niée par l'auteur.»



Une idée avait germé dans l'esprit de l'enfant Lune. Il avait dans sa tête vu défiler de nombreuses histoires, mais, à ce jour, il n'avait encore aucune idée de la sienne. C'est ainsi qu'il se mit à écrire maladroitement dans son premier cahier. Naturellement, à part lui, la langue qu'il employait était parfaitement incompréhensible et n'était nullement adaptée à l'écriture. C'est ainsi que les cahiers commencèrent dans la langue des images. Encore faut-il comprendre ce que cette langue signifiait pour lui qui était, selon nos conceptions, aveugle, sourd et muet...
 
 
 
 
Personne ne sait comment étaient vraiment ces premiers cahiers dont il ne reste aucune trace. Tout juste peut-on extrapoler à partir des corrections successives de l'enfant Lune dont on sait, à partir de ses écrits ultérieurs, comment elles furent mises en œuvre à partir du moment, très imprécis, où l'enfant Lune commençait à sortir de l'isolement de ce que d'aucuns voulurent appeler sa prison. Aujourd’hui, sans annotations en marge et sans commentaires à la fin ces cahiers réunis, regroupant images et textes corrigés par l'enfant Lune, qui n'est plus ce qu'il était, reforment une énigme qui n'aura jamais de fin... mais il se peut que, mise en garde contre les faux semblants et les vraies illusions, cette fin, à l'image de tout le reste, n'en a peut-être pas fini de vous tromper.
 
 
 
 

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