vendredi 31 janvier 2025

 
PREMIER INTERLOCUTEUR.
Je serai sévère.

SECOND INTERLOCUTEUR.
C'est ce que mon ami exigerait de vous.

PREMIER INTERLOCUTEUR.
Eh bien puisqu’il faut vous le dire, son ouvrage écrit d’un style tourmenté, obscur, entortillé, tourmenté, est
plein d'idées communes. Au sortir de cette lecture, un grand comédien n'en sera pas meilleur, et un pauvre acteur n'en sera pas moins mauvais. C'est à la nature à donner les qualités de la personne, la figure, la voix, le jugement, la finesse. C'est a l'étude des grands modèles, à la connaissance du cœur humain, à l'usage du monde, au travail assidu, à l'expérience, et à l'habitude du théâtre, à perfectionner le don de nature. Le comédien imitateur peut arriver au point de rendre tout passablement; il n'y a rien ni à louer, ni à reprendre dans son jeu.

SECOND INTERLOCUTEUR.
Ou tout est à reprendre.

PREMIER INTERLOCUTEUR.
Comme vous voudrez. Le comédien de nature est souvent détestable, quelquefois excellent. En quelque genre que ce soit, méfiez-vous d'une médiocrité soutenue. Avec quelque rigueur qu'un débutant soit traité, il est facile de pressentir ses succès à venir. Les huées n’étouffent que les ineptes. Et comment la nature sans l’art formerait elle un grand comédien, puisque rien ne se passe exactement sur la scène comme en nature, et que les poèmes dramatiques sont tous composés d'après un certain système de principes? Et comment un rôle serait-il joué de la même manière par deux acteurs différents, puisque dans l'écrivain le plus clair, le plus précis, énergique, les mots ne sont et ne peuvent être que des signes approchés d'une pensée, d'un sentiment, d'une idée; signes dont le mouvement, le geste, le ton, le visage, les yeux, la circonstance donnée, complètent la valeur? Lorsque vous avez entendu ces mots:

 Que fait là votre main?
 ... Je tâte votre habit, l'étoffe en est moelleuse.

Que savez-vous? Rien. Pesez bien ce qui suit, et concevez combien il est fréquent et facile à deux interlocuteurs, en employant les mêmes expressions, d'avoir pensé et de dire des choses tout à fait différentes.

Diderot, Paradoxe sur le comédien 
 
 





– Eh bien, où donc sont passées ces ombres qui, dans l’obscurité nous observent?
– Expliquez-moi ce que vous entendez par là?
– Il se pourrait que s’expliquer, littéralement ouvrir ses plis, se déplier ne soit pas la meilleure façon de comprendre… de se comprendre… ou d’être compris...


jeudi 30 janvier 2025

 
« Il tourne autour de son absence comme à la recherche d'une issue par où la rejoindre, trop jeune toutefois pour désirer s'y laisser attirer jusqu'au point de non-retour, mais qu'elle revienne, qu'elle soit là et qu'étant de nouveau là sans y apparaître en personne elle l'aide à vivre cette absence absolue qu'est sa mort dans un rapport d'intimité et non plus d'exclusion, fût-ce pour en attiser la douleur qu'une étrange sécheresse a frappée d'inertie.»

Louis-René des Forêts, Ostinato, l’imaginaire Gallimard, p.60
 
 
 



Résumé
 
Impatient le petit chien bleu demande: Quand donc en viendrez-vous au fait, si je puis dire… À quoi faites-vous allusion? lui répond le Colonel, poupée de tissu façonnée par le Souriant qui semble être le narrateur de cette histoire. Que vient faire ici le narrateur? Ce que j'aimerai savoir c'est ce qui lui est arrivé... demande encore le petit chien. Ce qui lui est arrivé, il ne l'a pas demandé. Cela est arrivé c'est tout... lui répond le Colonel... mais suivez-moi et je vous conterais tout... et en détails...
 

Le Colonel, pantin de tissu à l’effigie du Colonel, raconte

Il ne criait pas. Non. L’horreur était plus forte,  
Et son âme figée attendait qu’on l’emporte.  
L’enfant ne comprenait ni le lieu ni l’instant,  
Et son souffle hésitant se brisait sous le temps.  

Le Souriant

Tout se jouait là, sourd, dans le cercle immobile,  
Où l’éclair d’un couteau sous mes doigts inutiles  
Traçait sur ce visage un destin que, sans voix,  
Il ne refusait pas, ne concevant pourquoi.  

Il n’était plus que matière, ma main vagabonde,  
Façonnait sa tendre chair comme la nuit refonde  
Les contours incertains de tout ce que l’on a vu  
Quand l’ombre se referme et qu’on ne voit plus. 
 
Son regard devint vide, une mer sans rivage,  
Un gouffre où s’effaçaient les songes de l’enfance,  
Et moi, sur cette peau, je sculptais un visage,  
D’un sourire éternel, figé dans la souffrance.  

Le Colonel, poupée de tissu

Il était là, tremblant, aux confins de l’absence,  
Un enfant, frêle ombre aux portes du silence.  
Le vent, ce jour funeste, oubliait l’océan,  
L’eau dormait sous le ciel, sans un souffle mouvant.
 
Le Souriant

Rien ne me semblait venir troubler l’ordre des choses,  
Et pourtant, dans ses mains, mon destin se dépose.  
Mes yeux, vastes abîmes où nageait l’inconnu,  
Cherchaient un point d’appui et n’en trouvaient plus. 


Le Souriant

Ce regard malhabile, égaré, sans lumière,  
Comment pourrait-il plaire, inspirer la matière?  
N'est-il pas fait pour rire, éclairer les humains?  
Pourquoi donc refuser ce don de mes deux mains? 

Il ne criait pas. Non. L’horreur était plus forte,  
Et son âme figée attendait qu’on l’emporte.  
L’enfant ne comprenait ni le lieu ni l’instant,  
Et son souffle hésitant se brisait sous le temps.


Le Souriant

Je n’ai point de dessein cruel ou tyrannique,  
Mais la vie exige un visage héroïque.  
Ce masque que je taille est le sceau du destin,  
Un éclat, un flambeau sous ce front incertain.  


Le Colonel, poupée de tissu

Tout se jouait là, sourd, dans le cercle immobile,  
Où l’éclair d’un couteau sans pensées inutiles  
Traçait sur ce visage un destin que, sans voix,  
Il ne refusait pas, ne concevant pourquoi.  

Le Souriant 

Ô pauvre créature aux traits froids et sévères,  
Que ne puis-je ouvrir en toi des rivières!  
Ce monde est une scène, et tu dois y jouer,  
N’es-tu point plus utile en un sourire magnifié?  

Je n’étais qu’un outil, la main d’un sort immonde,  
Je façonnais sa chair comme la nuit refonde  
Les contours incertains de ce que l’on a vu  
Quand l’ombre se referme et qu’on ne voit plus.  

Le Colonel, poupée de tissu

Son regard devint vide, une mer sans rivage,  
Un gouffre où s’effaçaient les songes de l’enfance,  
Et sur lui, sur cette peau, il sculptait un visage,  
D’un sourire éternel, figé dans la souffrance.  

Le Souriant

Le monde le voulait, ce monde qui s’égare,  
Un enfant sans éclat est un astre sans phare.  
J’ai inscrit dans sa peau le rôle qu’il lui faut,  
Un masque éclatant sous le joug des bourreaux.
  
Le Colonel, poupée de tissu

Le crépuscule vint, et, tel un dieu féroce,  
Il scella sous ses doigts les restes de l’atroce.  
L’enfant, dépouillé d’être et d’un passé brisé,  
Vit le monde en ses yeux, mais ne put plus l’aimer.

mercredi 29 janvier 2025

 
« Quand le couteau tombe sur Saint-Just et sur Robespierre, il n'atteint en quelque sorte personne. La vertu de Robespierre, la rigueur de Saint-Just ne sont rien d'autre que leur existence déjà supprimée, la présence anticipée de leur mort, la décision de laisser la liberté s'affirmer complètement en eux et nier, par son caractère universel, la réalité propre de leur vie. Peut-être font-ils régner la Terreur. Mais la Terreur qu'ils incarnent ne vient pas de la mort qu'ils donnent, mais de la mort qu'ils se donnent. Ils en portent les traits, ils pensent et décident avec la mort sur les épaules, et c'est pourquoi leur pensée est froide, implacable, elle a la liberté d'une tête coupée.»

Maurice Blanchot, De Kafka à Kafka, folio, p. 33





Le petit chien
 
Colonel, vos paroles m'entraînent dans un flot
Où l'esprit chavire et où vacillent les mots
Parlez encore, je sens, malgré cette impasse,
Qu'un sens plus grand m'attend, et ma peur s'efface.

Le Colonel


Écoute donc, petit, car il est des courants

Que l’ombre de Lévinas éclaire en son printemps
Sa voix, nourrie d'un Heidegger moins ardent,
Fait un pas décisif hors d'un savoir trop pesant.

Ce n’est plus seulement l’être qu’il faut chercher,

Mais l’Autre, cet éclat qu'un ne peut approcher.

Le petit chien

Le visage? Ce mot m’échappe et me questionne,

Pourquoi ce simple trait vous trouble et vous raisonne?

Le Colonel

Le visage, ami, n’est pas simple apparence,

Ni reflet qu’on observe avec indifférence.

Il est plus qu’une forme, un contour passager,

C’est un lieu où l’infini vient se propager.

Quand tu vois l’Autre, et que son regard t’atteint,

Il exige ta réponse, un devoir en maintien.

C’est un appel muet qui brise nos armures,
Un cri d’éternité dans une chair qui murmure.

Le petit chien

Un appel, dites-vous? Mais que veut-il de nous?

Ce visage discret, comment est-il si doux?

Le Colonel


Il veut ta responsabilité, ton être entier,

Que tu sois pour l’Autre, dans l’instant, un pilier.

Pour Lévinas, ami, c’est là le fondement

De l’humain, se donner à l’Autre, intensément.

Et cet Autre, comprends-le, n’est jamais réductible,

À des mots, des schémas ou à des cadres visibles.

C’est un mystère ouvert, une fenêtre immense,

Qui nous ouvre sans bruit et nous pousse à la danse.

Le petit chien

Mais si l’Autre est si grand, un appel infini,

Ne nous écrase-t-il pas, nous, si petits?

Le Colonel

Il n’écrase personne, car il n’a pas de poids,

L’infini n’est pas charge, il se donne en sa loi.

En voyant l’Autre, ami, tout n’est pas perdu,

Tu te trouves au contraire, dans un feu continu.

L’Autre te fait humain, il fonde ton essence,

En toi naît la réponse, une vive présence.

Le petit chien

Colonel, ce discours me remplit de vertige,

Dois-je à chaque regard répondre sans litige?

Le Colonel

Oui, car tout ce qui vit porte un éclat secret,

Et même dans l’obscur, un visage se crée.

C’est là, dans ce regard, que réside l’éthique,

Un lien hors des mots, hors de l’analytique.

Ce que Lévinas dit, c’est que l’Autre t’assigne,

Avant que toi, ami, tu ne poses tes lignes.

Ce n’est pas une charge, mais une vérité,

Un don qui fait de toi un être en dignité.

Le petit chien


Mais Colonel, tout cela me semble une prison,

Si l’Autre me devance, ai-je encore ma raison?

Le Colonel

Ce n’est pas une geôle, mais une liberté,
Un appel à l’amour dans la fragilité.

Car l’Autre n’est jamais un concept, un tableau,

Mais un être vivant, un éclat, un flambeau.

Dans son visage, vois, l’infini se déploie,

Il te fait responsable, mais il te laisse un choix.

Le Petit Chien

Je crois percevoir mieux ce mystère, Colonel,

Mais dites-moi, comment répondre à l’appel?

Le Colonel

C’est en toi, cher ami, qu’existe la réponse,

Dans ton être offert, dans la main que tu donnes.

C’est à travers l’Autre que tu es véritable,

Que ton monde s’élève et devient ineffable.

L’éthique n’est pas loi, ni règle oppressante,

C’est l’élan du regard, une force agissante.

Le petit chien

Colonel, je frissonne, mais je vois la lumière,

Vos mots m’ont révélé une vision première.

Ce visage, cette voix, cet appel infini,

Je le sens tout autour, un souffle, un esprit.

Le Colonel

Alors, petit ami, tu comprends l’essentiel,

Que l’Autre est ce mystère où naît le relationnel.

C’est là que l’homme existe, en cet étrange feu,

Non en se repliant, mais en tendant vers deux.

 
« Ce que Kafka nous donne, don que nous ne recevons pas, c'est une sorte de combat par la littérature pour la littérature, combat dont en même temps la finalité échappe et qui est si différent de ce que nous connaissons sous ce nom ou sous d'autres noms que l'inconnu même ne suffit pas à nous le rendre sensible, puisqu'il nous est aussi familier qu'étranger...»


Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, folio
 
 




Le petit chien


Ne voyez-vous, Colonel, que ces mots si nombreux,
Volant comme le vent, disparaissent de ces lieux?
Ils s'effacent déjà, laissant à notre trace
Un désert de silence, un écho qui s'efface.

Le Colonel

Ne crois pas, cher ami, que ces mots soient perdus;
Même s'ils s'effacent, leur écho nous est dû.
Écris-les, si tu veux, mais vois cette écriture!
Est-elle plus réelle que notre voix obscure?
Car pour qu'une trace en ce monde subsiste,
Encore faut-il qu'un œil la voie et l'assiste.
Et cet ail, s'il existe, qu'importe où il se tient,
Il doit nous suivre encore, même absent de ce lien.

Le petit chien

Mais cet œil, dis-moi donc, pourrait-il nous manquer?
Ces mots, s'ils sont lus, ne sauraient s'effacer.
Et pourtant, Colonel, s'il n'y avait personne?
Si ce regard s'absentait et tout abandonne?

Le Colonel

Alors ces mots glisseraient dans un gouffre sans fin,
Un abime muet qui détruit sans cesse le chemin.
Car vois-tu, sans l'Autre, rien ne peut subsister,
Et la trace elle-même n'a pas d'identité.
Mais ne crains pas, petit, car tout mot, s'il résonne,
Porte un écho secret que l'invisible entonne.

Le petit chien

Alors nous ne savons si quelqu'un nous entend,
Si ces mots que je dis flottent dans l'instant.
Colonel, votre foi défie ma compréhension,
Comment croire en ce lien sans preuve ou vision?

Le Colonel

La preuve, cher ami, n'est qu'un leurre de l'esprit,
C'est l'Autre qui demeure, même au-delà du cri.
Il suffit d'y répondre, en un geste ouvert,
Sans chercher à comprendre son regard découvert.
Car cet œil dont tu parles, s'il nous reste caché,
Est peut-être l'abîme où l'homme est attaché.

Le petit chien

Colonel, vos discours me laissent en émoi,
Ces mots semblent s'ouvrir sur un gouffre sans loi.
Mais peut-être avez-vous raison dans votre doute,
Et que nos traces flottent sur une étrange route.

Le Colonel

Oui, petit, chaque mot porte un souffle éternel,
Même s'il s'efface, il poursuit son appel.
Car l'Autre, que tu crains, demeure à nos côtés,
Invisible peut-être, mais jamais effacé.  




mardi 28 janvier 2025

« Une fois par jour nous sommes peut-être le geste qui répond, loin en bas, dans l'herbe et la lampe solaire au milieu du fourré, le nid de lumière dans le hêtre pourpre et l'obscurité protectrice à l'intérieur de l'if. Nous pouvons être à tout moment le vent des racines qui soulève, d'en bas, les couronnes des arbres, le bruit des nuits et des jours, le vert infini, la surface de la mer au rayonnement tranquille qui s'appelle «galène» dans le proverbe. Demain nous ne serons peut-être rien. Après-demain nous serons morts et enterrés et ne serons pas même une note dans les livres d'histoire. Mais, loin là-haut, les tombeaux de nuages blancs ne cesseront d'être nos lieux du souvenir.»


Peter Handke, Par les villages, Gallimard 
 
 

 
 Le chien

Vous avez dit : « Il m'assigne avant que je le désigne»
Expliquez-moi, Colonel, je ne comprends ce signe.

Le Colonel

C'est là d’Emmanuel Lévinas une célèbre citation,
Qui place, au cœur du monde, éthique et relation.
Il parle d'altérité, de ce regard qui fonde,
Où l'autre nous devance, et sa clarté inonde.

Le chien

Mais dites-moi, Colonel, comment savez-vous cela
Vous, poupée de tissu, forgée par de simples bras?

Le Colonel

Vous l'ignorez donc, chien, mais on m'appelle Colonel,
Car je suis l'image d'un autre, un être réel.
Autrefois, le Souriant, cet étrange créateur,
M'a taillé de ses mains, lui, féroce imitateur.
Avec son couteau, du tissu, une aiguille et du fil,
Il m'a donné ce corps et une âme si fragile.
Mais pour m'imaginer, il prit un modèle,
Celui nommé Colonel, une image fidèle.

Le chien

Ainsi donc, vous n'êtes qu'un reflet, une copie,
Et ce Colonel vrai dicte tout de votre vie.
Quel lien, je vous en prie, avec cette citation,
Ces mots troublants d'éthique et d'assignation?

Le Colonel

Écoutez bien, petit, car ici l'histoire se renverse.
Le Souriant, voyez-vous, crée des images diverses,
Mais en forgeant mon corps, il jouait un autre rôle.
Car ce qu'il ignorait, c'est que son propre envol
Lui venait du Colonel, dont je ne suis qu'un double,
Un être fabriqué dans ce miroir qui trouble.
Le Souriant, lui-même, fut jadis une main
Façonnée par ce chef dont je porte le teint.
Ainsi, par mon image, il renverse les jeux
Le créateur devient la créature dans ses yeux.

Le chien

Je peine à suivre, Colonel, ce curieux filon,
Vous dites que le Souriant n'est qu'un pion?
Qu'il fut créé lui-même par celui qu'il imite?
Je crois que dans ce jeu, mon esprit se limite.

Le Colonel

C'est pourtant vérité, dans ce cercle infini,
Le Souriant n'est rien que l’écho d'un déni.
Et moi, sa pauvre œuvre, je porte en mes coutures
Le reflet de ce chef, son étrange nature.
Ainsi, dans ces méandres, les rôles se confondent,
Et l'autre nous devance, c'est là que tout se fonde.
La mémoire, vois-tu, m'éclaire à chaque instant,
Et ce qui m'est donné devient plus éclatant.
Mais retiens ceci: l'ordre est un fleuve mobile,
Où le créateur lui-même peut n'être qu'un débile.

Le chien
 
Colonel, je frémis, cette trahison me tourmente,
Le Souriant, ce maître, n'est qu'une ombre absente?
Et moi, pauvre petit, suis-je aussi prisonnier
De ce cycle éternel qu'aucun ne peut nier?

Le Colonel

Nous serions tous comme les maillons d'une chaîne,
Où l'autre nous devance, et nous soumet sans haine.
Mais ne crains pas cela: c'est un feu qui éclaire,
Un mystère profond qui donne et puis libère.
Ainsi, dans cette boucle où tout semble incertain,
C'est l'autre qui t'élève et te tend une main.
 



 
"Il est écrit dans le chapitre 31 du Deutéronome en son verset 19 וְעַתָּה כִּתְבוּ לָכֶם אֶת הַשִּׁירָה הַזֹּאת : «Et maintenant écrivez pour vous ce cantique», un verset duquel les maîtres et les commentateurs en ont déduit un commandement, - nous en avons souvent parlé dans Talmudiques-, le 613e commandement de la Tora, l’ultime de tous les commandements. A savoir que, chacun, chaque homme et chaque femme, a l’obligation d’écrire un livre de la Tora, c’est-à-dire, et c’est le sens de ce commandement aujourd’hui, l’obligation d’écrire le livre de sa vie, le livre par lequel sa propre vie reçoit un sens. Un livre qui éclaire le sens de notre existence et qui permet d’en partager le présent, c’est-à-dire le fait que nous soyons présent au monde et que cette présence soit un présent pour le monde. Un livre qui, comme dit Barthes dans la Préparation du roman, soit «une déclaration de sujet» c’est-à-dire un livre dans lequel l’auteur ne refoule pas le sujet qu’il est. "*

 
 
 

 
 

Le théâtre tremble sous le poids des mots. Les lambeaux de tissu s'agitent violemment, comme pris dans une bourrasque venue bien au-delà des limites de l’archipel. Le rideau se soulève légèrement, laissant entrevoir une silhouette à peine visible, l'ombre du Souriant qui, même invisible, à défaut d’être entendu, semble tout entendre. Silence. Le mystère reste entier, mais la tension est palpable, suspendue dans l'air comme une lame prête à tomber.
 "Nous écrivons et nous lisons pour cela, disait Maurice Blanchot, pour découvrir ce livre qui n’est jamais que le « Livre à venir ». Invitant encore et encore à lire et à écrire et à traduire aussi…"*
 
*Marc-Alain Ouaknin 

 

 

 

lundi 27 janvier 2025

 

« Projeté sur la roche à partir de la vision involontaire interne que provoquaient la faim, la nuit, le froid, la drogue, la lueur, la peur de périr, le remords d'avoir tué, le rêve où tout resurgit, les premiers hommes d'avant l'histoire, eux-mêmes levant les premières torches enfumées au fond des cavernes dont ils avaient délogé et décimé manque à nos jours les ours, effaçant ou réanimant les griffures des ours qui les avaient précédés dans les conduits eux-mêmes creusés et abandonnés par les glaciers, dessinaient les contours des silhouettes qui étaient disparues.

Pascal Quignard, Sur l’image qui manque à nos jours, arléa, p.17
 
 


 
 L'âne hésite, puis, solennel, comme mû par une force intérieure, s'avance lentement au centre de la scène. Le vent marin se tait un instant, comme suspendu... Et les révélations sur la transformation du Souriant se précisent peu à peu...
 
Écoutez-moi, compagnons, et retenez ces mots.
L'opération qu'il cache, ce n'est point un complot.
C'est une main divine, ou peut-être cruelle,
Qui altère l'être et brise son étincelle.

Une ombre passe sur le théâtre, projetant sur le sol des figures tremblantes. La lumière vacille, mais le sourire du Souriant reste, figé, inaltérable, au-delà même de ces révélations.

L'âne, plus sombre encore


Peut-être le Souriant, avant d'être tout-puissant,
Fut lui-même forgé par ce cruel tourment.
Ce qu'il est aujourd'hui, cet éclat qui l'enlace,
N'est que le masque froid d'un passé qui le chasse.

 
 


dimanche 26 janvier 2025

 

« Les choses sont l'unique sens occulte des choses.»
 
Fernando Pessoa, Le gardeur de troupeau, XXXIX

 



C'est alors que les planètes se désorientent, que le Colonel, sans qu'il puisse l'expliquer, sent en lui monter un sentiment de peur et souvent de panique.
 
L'âne, d’une voix lente parle du Souriant, pesant chaque mot comme une pierre
 
Avant qu'il ne devienne un maître oppressant,
Avant qu'il n'ait subi ce changement troublant.

Le petit chien, exigeant, les oreilles dressées

Quel changement? Expliquez-vous sans détour.
Parlez, car le mystère s'épaissit chaque jour.

Le Colonel détourne son visage de tissu, une ombre invisible semblant peser sur lui. Il parle, mais à voix basse, comme s'il craignait d'être entendu, tremblant, dans un murmure à peine audible

Une opération qui, jadis, se pratiquait...
Un acte si brutal que l'âme en disparaît.
Je frissonne encore de ce mot menaçant,
Qui glace ma mémoire et trouble le présent.

Le petit chien, l'air excédé par ce voile de mystère.

Vous en avez trop dit... ou bien pas assez!
Si vous ne parlez pas, nous sombrerons tous, lassés. 

L'âne, avec un soupçon d'ironie, presque rêveur
secoue la tête avec une ironie légère, fixant l'horizon brumeux où le volcan sommeille encore.

Vous devriez lire Hugo, mon cher compagnon.
Ses mots traversent l'ombre et brisent les prisons.
Il parle des abîmes où l'homme s'abandonne,
Et des cieux où l'esprit en pleine lumière pardonne.

Le petit chien, tournant autour de l'âne, insistant

Je vous en prie... dites-nous tout ce qu'il refuse.
Sa langue vacille et son silence feint nous abuse.



 

 

samedi 25 janvier 2025

 

 
« José Palacios, son plus ancien serviteur, le trouva qui flottait, nu et les yeux ouverts, dans les eaux dépuratives de la baignoire, et il crut qu'il s'était noyé. Il savait que c'était une de ses nombreuses façons de méditer, mais l'extase dans laquelle il gisait, à la dérive, semblait celle de quelqu'un qui n'est plus de ce monde. Il n'osa pas s'approcher et l'appela d'une voix sourde, respectant l'ordre de le réveiller avant cinq heures afin de pouvoir partir aux premières lueurs de l'aube. Le général émergea de l'envoûtement et vit, dans la pénombre, les yeux bleus et diaphanes, la chevelure crépue couleur d'écureuil, la majesté impavide de son majordome de tous les jours qui tenait à la main la tasse d'infusion de coquelicots et de gomme arabique. Le général prit appui, sans force, sur les poignées de la baignoire et surgit des eaux médicinales avec une fougue de dauphin à laquelle on ne pouvait s'attendre de la part d'un corps aussi chétif.»

Gabriel Garcia Márquez, Le général dans son labyrinthe, Grasset, p.11
 
 Divine providence
 Épisode 82
 

 
À la faveur de la nuit le Souriant, invisible présence, délivré de sa mémoire, peut laisser libre cours à ses penchants.



Le Souriant, à part, dans un murmure souverain
 
La poupée est à l'image du Colonel,
C'est pourquoi elle porte son nom, fidèle.
 
Ils ne le sauront jamais, je parle du vrai Colonel, celui fait de chair et de sang, songe le Souriant avec confiance. Je les tiens, ils ne peuvent s'échapper. Mais, en intervenant ainsi, même discrètement, il ajoute au doute des personnages qu’il avait en mains. Certes ceux-ci ne l’entendent point ni ne le voient, mais ils le ressentent indirectement. En perdant involontairement sa place de narrateur absolu, son pouvoir vacille. Ne le sachant point, absurdement, il s'efforce de maintenir son rôle au-dessus des personnages.

Le Colonel, après un silence, hésitant quelque peu et se tenant hors des regards, sa voix trahissant une douleur sourde
 
Cela peut sembler simple... ou cela semble vain,
D’un ressentiment qui, loin d’être discret, m’atteint
Si l'on va plus loin, c’est là que tout s’explique.
À l'image de celui en qui tout cela se complique?
Saurais-je un jour à quelle source obscure,
Je devrais tout ce simulacre qui me torture?

Le Colonel, s’interrompt, comme effrayé par sa propre question. Le petit chien sursaute, l'air vif et curieux. Il dit avec une agitation nerveuse

Mais alors, à l'image de qui fut-il façonné
Celui qu'on nomme ici le Souriant aiguillonné?

L'âne et le petit chien se tournent l'un vers l'autre, un même frisson d'interrogation vibrant dans leur silence partagé, comme mus par une pensée commune.

Le maître secret de notre narrateur aurait-il pris sa place?
Celui qu'on croyait tout-puissant, serait celui qui s'efface,
Le duo était, bien avant cela, tout autre, n'en doutons point,
Des être différents, perdus dans l'horizon tenus dans une main.

Le petit chien, fronçant les yeux, troublé

Tout cela était probablement vrai, mais, avant quoi?
Sauriez-vous me dire vraiment comment et pourquoi?
 
« José Palacios, son plus ancien serviteur, le trouva qui flottait, nu et les yeux ouverts, dans les eaux dépuratives de la baignoire, et il crut qu'il s'était noyé. Il savait que c'était une de ses nombreuses façons de méditer, mais l'extase dans laquelle il gisait, à la dérive, semblait celle de quelqu'un qui n'est plus de ce monde. Il n'osa pas s'approcher et l'appela d'une voix sourde, respectant l'ordre de le réveiller avant cinq heures afin de pouvoir partir aux premières lueurs de l'aube. Le général émergea de l'envoûtement et vit, dans la pénombre, les yeux bleus et diaphanes, la chevelure crépue couleur d'écureuil, la majesté impavide de son majordome de tous les jours qui tenait à la main la tasse d'infusion de coquelicots et de gomme arabique. Le général prit appui, sans force, sur les poignées de la baignoire et surgit des eaux médicinales avec une fougue de dauphin à laquelle on ne pouvait s'attendre de la part d'un corps aussi chétif.»

Gabriel Garcia Márquez, Le général dans son labyrinthe, Grasset, p.11
 
 Divine providence
 Épisode 82
 

 
À la faveur de la nuit le Souriant, invisible présence, délivré de sa mémoire, peut laisser libre cours à ses penchants.



Le Souriant, à part, dans un murmure souverain
 
La poupée est à l'image du Colonel,
C'est pourquoi elle porte son nom, fidèle.
 
Ils ne le sauront jamais, je parle du vrai Colonel, celui fait de chair et de sang, songe le Souriant avec confiance. Je les tiens, ils ne peuvent s'échapper. Mais, en intervenant ainsi, même discrètement, il ajoute au doute des personnages qu’il avait en mains. Certes ceux-ci ne l’entendent point ni ne le voient, mais ils le ressentent indirectement. En perdant involontairement sa place de narrateur absolu, son pouvoir vacille. Ne le sachant point, absurdement, il s'efforce de maintenir son rôle au-dessus des personnages.

Le Colonel, après un silence, hésitant quelque peu et se tenant hors des regards, sa voix trahissant une douleur sourde
 
Cela peut sembler simple... ou cela semble vain,
D’un ressentiment qui, loin d’être discret, m’atteint
C'est si l'on va plus loin, qu'on interroge, qu'on pique
À l'image de celui en qui tout cela se complique?
Saurais-je un jour à quelle source obscure,
Je devrais tout ce simulacre qui me torture?

Le Colonel, s’interrompt, comme effrayé par sa propre question. Le petit chien sursaute, l'air vif et curieux. Il dit avec une agitation nerveuse

Mais alors, à l'image de qui fut-il façonné
Celui qu'on nomme ici le Souriant aiguillonné?

L'âne et le petit chien se tournent l'un vers l'autre, un même frisson d'interrogation vibrant dans leur silence partagé, comme mus par une pensée commune.

Le maître secret de notre narrateur aurait-il pris sa place ?
Celui qu'on croyait tout-puissant, serait celui qui s'efface,
Le duo était, bien avant cela, tout autre, n'en doutons point,
Des être différents, perdus dans l'horizon tenus dans un poing.

Le petit chien, fronçant les yeux, troublé

Tout cela était probablement vrai, mais, avant quoi?
Sauriez-vous me dire vraiment comment et pourquoi?






 
« Lorsqu'il revint dans la chambre, il trouva le général au bord du délire. Il l'entendit prononcer des phrases décousues qui tenaient en une seule: «Personne n'a rien compris.» Son corps brûlait sur le bûcher de la fièvre, et il avait des flatulences fétides et en cascade.
Le lendemain matin, lui-même ne saurait dire s'il avait parlé en dormant ou déliré éveillé, ni ne pourrait s'en souvenir. C'était ce qu'il appelait « ma crise de démence ». Elle n'alarmait plus personne car il y avait plus de quatre ans qu'il en souffrait sans qu'aucun médecin se fût risqué à tenter une explication scientifique. Le jour suivant, on le voyait renaître de ses cendres, la raison intacte.»

Gabriel Garcia Márquez, Le général dans son labyrinthe, Grasset, p.19
 
 
 
Divine providence
 Épisode 81
 
 

 
Le théâtre fragile, battu par le vent marin, tremble en tous sens. Les lambeaux de tissu accrochés aux poutres vacillent, projetant des ombres sur la scène. Le Colonel, immobile, ajuste sa silhouette de poupée, tandis que l'âne fixe l'horizon d'un regard pensif. Le Souriant, invisible aux yeux des compagnons, plane tel un spectre omnipotent, son sourire figé dans une éternelle expression ambiguë. Il écoute ce qu'il n'a pas su dicter.

L'âne, d’un ton grave, après un silence chargé d'attente
 
Le Colonel commence timidement à se raconter.
Mais ces mots qu'il tisse sont comme des filets,
Faits d'une trame floue, d'un écho désavoué.
Sa mémoire n'est qu’une ombre et son passé s'égare,
Un pantin qui vacille au bord de quelque phare.

Le petit chien, trottinant, vif et moqueur pense que raconter n’est peut-être point le mot juste… Le Colonel fait ce qu’il peut et la mémoire d’une poupée n’est pas ce qu’il y a de plus rationnel.
 
Ce pantin sait-il même où sont ses souvenirs?
Un jouet d'autrefois, vide de devenir.
Sa mémoire est tissée de fils malmenés,
Son passé se délite en des rêves brisés.

Le Colonel semble vouloir répondre, mais son silence pèse davantage. L'âne s'avance alors, appuyant d'un sabot ferme sur le sol comme pour souligner son propos.

L'âne, solennel

- Nous savons... et il sait... qui l'a façonné.
C'est le Souriant, maître de toutes pensées.
Mais cette poupée blanche, en qui il se confond,
Cache-t-elle une image, ou bien un nom profond?

Dans l'ombre, le Souriant semble écouter attentivement. Bien qu'invisible, il domine toujours la scène par sa présence oppressante, et son sourire figé, loin de vaciller, reste inébranlable.

vendredi 24 janvier 2025


Divine providence
 Épisode 80

 



La scène vacille entre le passé et le présent
Une voix s'étire alors, profonde et détachée,
Comme si l'ombre même venait la prolonger.
Le théâtre frissonne, les vents deviennent sourds,
Et le Souriant, d'en haut, fixe ce détour.
 
 
 
 
Car ce souvenir trouble, né d'un flot éclaté,
Semble dérober à l'auteur sa vérité.
Un souffle antique sur des mots déliés
Le Colonel poursuit, tel un sage égaré,
Comme si l'Illusion et la Misère, liées,
Revenaient le hanter de leur éclat pervers,
Tissant entre ses mots un étrange univers.
L'Illusion, mes amis, n'est jamais solitaire,
Elle danse au milieu des lumières éphémères.
Et la Misère, enchaînée à quelque sombre destin,
N'est que l'ombre fidèle d'un mensonge en chemin.
Ces deux-là, compagnons d'une quête infinie,
Sont venus à jusqu'à moi, figures d'ironie.
Et moi, pauvre pantin, j'ai scellé leur lien,
Pensant trouver en eux une étoile ou presque rien.
Ils furent mon cortège, mon étrange famille,
Mais aujourd'hui, sur cette scène qui vacille,
Je les convoque encore, ces fragments du passé,
Je les convoque encore, ces fragments du passé,
Pour défier le Souriant, son empire insensé.
Le Souriant observe. Il écoute et reste muet.
De loin, le Souriant, dans l'ombre de sa tour,
Regarde ce récit s'étendre, sans retour.
Ses mains semblent liées, son contrôle vacillant,
Et ce théâtre étrange le laisse impuissant.
Mais il sourit encore, car dans son cœur douteux,
Il sait que tout revient à ses fils malicieux.
Une scène chargée de mémoire
Ainsi, sous les vents sombres, les éclats du passé
Se mêlent aux tissus, aux bois entrelacés.
Le théâtre fragile, puissant en ses errances,
Devient un sanctuaire, un lieu de résistance.
Et le Colonel, masque blanc sans regard,
Y inscrit ses secrets dans l'ombre du hasard.

jeudi 23 janvier 2025

 
"O misère de nous! Notre vie est si vaine qu'elle n'est qu'un reflet de notre mémoire."

Châteaubriand
 
Divine providence
 Épisode79
 
 

 
 
Sur la plage, entre deux marées, au milieu de dizaine de bois rompus et flottés et diverses curiosités, le Colonel  accompagné de l'âne et du petit chien, trouvent également des costumes, certes usés, déformés et réparés, mais qui, mis en lumière, retrouvent toutes les apparence souhaitées. Pendant ce temps la construction va bon train.


 
Sur la scène du théâtre fait d'ombres emmêlées,
Dans ce frêle édifice que bercent les marées,
Des voix s'élèvent, tissée de vérités.
Le Colonel, debout, sous le ciel qui s'efface,
Laisse aux vents souverains le soin de faire grâce.
Blanc comme un masque nu, sans traits, sans expression,
Il parle, et de sa bouche s'échappe un autre ton.
Je ne suis qu'un pantin, voyez cette carcasse,
Un simulacre froid où l'oubli me terrasse.
Ce que j'ai été? Je n'en garde pour moi que des éclats,
Un grand miroir morcelé qu'effleure une voix-là.
Mais ici, dans l'abri qui échappe à son regard,
Ma mémoire renaît, un flot brusque et hagard.
Sans lien, sans chemin, elle s'éveille enfin,
Et ce que je vous dis jaillit de mes confins.
Un souffle suspendit la scène d'un instant,
Et le Colonel, sombre, reprit en un élan:
Je ne vous ai point dit, compagnons de fortune,
D'où vient ce que je fus, et ce que je calcule.
Car jadis, sur les bords d'une rivière ancienne,
Dans des jardins royaux où l'histoire sommeillait,
Je laissais à mes pas guider mon âme vaine,
Chargée de désarrois, de cendres, de regrets.
C'est là que je les vis, mes futurs acolytes,
Deux ombres singulières, au seuil de ma limite.
Le premier, c'est l'Illusion, un être éclatant,
Une étoile trompeuse, un mensonge charmant.
Il porte bien son nom, et son rôle me hante,
Il veille à la flamme, au flambeau qu'il nous présente .
Sa lumière vacille, mais il marche sans fin,
Comme si sous ses pas s'effaçaient les chemins.
Le second... ah, la Misère, cette créature!
Rien en elle n'éclaire, tout en elle murmure.
Elle devrait, c'est sûr, demeurer en retrait,
Invisible, cachée, sans faire un seul excès.
Mais hélas, mes amis, elle s'impose à tout,
Avec ses airs contrits, son silence si flou.
Elle me suit partout, compagnon malvenu,
Et je suis loin, je crois, d'être seul à l'avoir vue.