Pendant que l'âne ressent la présence du Souriant, celui-ci contemple de loin, l'ombre au front, et s'interroge... Sur la scène de ce petit théâtre presque vide dans lequel son ombre se répand, le narrateur, qui se veut omnipotent, il se souvient du Colonel. Le vrai. Il raconte et fait dire à son effigie :
Sans aucune cause rationnelle, comme mue par une force obscure, la marionnette s’agite sur la scène et se remet à parler. C'est une toute autre voix qui sort de sa bouche invisible.
– Je ne vous ai pas encore présenté mon compagnon de haut grade. Mon acolyte, que j'ai adopté pour la grande cause. Je l'ai rencontré alors que je traînais depuis de longs jours aux bords du grand fleuve. J'avais eu de légères contrariétés dans ma vie sentimentale. Dans ces jardins, qui virent jadis errer de grands princes, je laissais libre cours à des pensées quand je vis entrer mes futurs acolytes, l'Illusion et la Misère. "L'Illusion" porte beau. Il est le seul être en qui je puis avoir une quasi confiance. Il a charge de transport et de veille sur la lumière que nous transportons. "La Misère" n'est guère présentable, elle devrait rester tranquillement à la maison... enfin c'est ce que je pense... et je suis loin d'être le seul..
D’un coup la voix change encore de ton et de forme. En elle retentit la voix du Souriant:
Se dressent et s'animent, bâtissant un décor,
Comme un rêve insensé d'un monde qui s'endort.
Il doute et s'enchante, son sourire s'efface:
Voyez comme elles défient leur propre carapace!
Ils s'imaginent libres, maîtres de leur dessein,
Mais ne savent-elles pas qu’elles dansent dans ma main?
Le théâtre qu'ils dressent, fragile et impudent,
Est le reflet fidèle de mon esprit mouvant.
Le théâtre s'élève aux yeux des témoins
Ainsi, l'édifice, malgré sa frêle allure,
Portait une grandeur, une étrange armature.
Et sur la berge obscure, les témoins, silencieux,
Restèrent immobiles, pensant, levés aux cieux.
Qui sont-ils, ces passants, ces ombres sans désir,
Qui regardent l'ouvrage sans un mot, sans un rire?
Sont-ils là pour juger, pour bénir ou maudire,
Ou pour attendre, figés, que le théâtre expire?
Une force plus grande qu'eux-mêmes
Dans cet antre vivant, vibrant sous l'horizon,
S'ouvrait une promesse, un nouvel abandon.
Car l'homme, face au ciel, se dresse et se résigne,
Il bâtit, il défie, mais demeure en son signe.
Et ce théâtre frêle, dressé sur le néant,
N'est pas seulement fragile, mais impuissant.
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