mercredi 29 janvier 2025

 
« Quand le couteau tombe sur Saint-Just et sur Robespierre, il n'atteint en quelque sorte personne. La vertu de Robespierre, la rigueur de Saint-Just ne sont rien d'autre que leur existence déjà supprimée, la présence anticipée de leur mort, la décision de laisser la liberté s'affirmer complètement en eux et nier, par son caractère universel, la réalité propre de leur vie. Peut-être font-ils régner la Terreur. Mais la Terreur qu'ils incarnent ne vient pas de la mort qu'ils donnent, mais de la mort qu'ils se donnent. Ils en portent les traits, ils pensent et décident avec la mort sur les épaules, et c'est pourquoi leur pensée est froide, implacable, elle a la liberté d'une tête coupée.»

Maurice Blanchot, De Kafka à Kafka, folio, p. 33





Le petit chien
 
Colonel, vos paroles m'entraînent dans un flot
Où l'esprit chavire et où vacillent les mots
Parlez encore, je sens, malgré cette impasse,
Qu'un sens plus grand m'attend, et ma peur s'efface.

Le Colonel


Écoute donc, petit, car il est des courants

Que l’ombre de Lévinas éclaire en son printemps
Sa voix, nourrie d'un Heidegger moins ardent,
Fait un pas décisif hors d'un savoir trop pesant.

Ce n’est plus seulement l’être qu’il faut chercher,

Mais l’Autre, cet éclat qu'un ne peut approcher.

Le petit chien

Le visage? Ce mot m’échappe et me questionne,

Pourquoi ce simple trait vous trouble et vous raisonne?

Le Colonel

Le visage, ami, n’est pas simple apparence,

Ni reflet qu’on observe avec indifférence.

Il est plus qu’une forme, un contour passager,

C’est un lieu où l’infini vient se propager.

Quand tu vois l’Autre, et que son regard t’atteint,

Il exige ta réponse, un devoir en maintien.

C’est un appel muet qui brise nos armures,
Un cri d’éternité dans une chair qui murmure.

Le petit chien

Un appel, dites-vous? Mais que veut-il de nous?

Ce visage discret, comment est-il si doux?

Le Colonel


Il veut ta responsabilité, ton être entier,

Que tu sois pour l’Autre, dans l’instant, un pilier.

Pour Lévinas, ami, c’est là le fondement

De l’humain, se donner à l’Autre, intensément.

Et cet Autre, comprends-le, n’est jamais réductible,

À des mots, des schémas ou à des cadres visibles.

C’est un mystère ouvert, une fenêtre immense,

Qui nous ouvre sans bruit et nous pousse à la danse.

Le petit chien

Mais si l’Autre est si grand, un appel infini,

Ne nous écrase-t-il pas, nous, si petits?

Le Colonel

Il n’écrase personne, car il n’a pas de poids,

L’infini n’est pas charge, il se donne en sa loi.

En voyant l’Autre, ami, tout n’est pas perdu,

Tu te trouves au contraire, dans un feu continu.

L’Autre te fait humain, il fonde ton essence,

En toi naît la réponse, une vive présence.

Le petit chien

Colonel, ce discours me remplit de vertige,

Dois-je à chaque regard répondre sans litige?

Le Colonel

Oui, car tout ce qui vit porte un éclat secret,

Et même dans l’obscur, un visage se crée.

C’est là, dans ce regard, que réside l’éthique,

Un lien hors des mots, hors de l’analytique.

Ce que Lévinas dit, c’est que l’Autre t’assigne,

Avant que toi, ami, tu ne poses tes lignes.

Ce n’est pas une charge, mais une vérité,

Un don qui fait de toi un être en dignité.

Le petit chien


Mais Colonel, tout cela me semble une prison,

Si l’Autre me devance, ai-je encore ma raison?

Le Colonel

Ce n’est pas une geôle, mais une liberté,
Un appel à l’amour dans la fragilité.

Car l’Autre n’est jamais un concept, un tableau,

Mais un être vivant, un éclat, un flambeau.

Dans son visage, vois, l’infini se déploie,

Il te fait responsable, mais il te laisse un choix.

Le Petit Chien

Je crois percevoir mieux ce mystère, Colonel,

Mais dites-moi, comment répondre à l’appel?

Le Colonel

C’est en toi, cher ami, qu’existe la réponse,

Dans ton être offert, dans la main que tu donnes.

C’est à travers l’Autre que tu es véritable,

Que ton monde s’élève et devient ineffable.

L’éthique n’est pas loi, ni règle oppressante,

C’est l’élan du regard, une force agissante.

Le petit chien

Colonel, je frissonne, mais je vois la lumière,

Vos mots m’ont révélé une vision première.

Ce visage, cette voix, cet appel infini,

Je le sens tout autour, un souffle, un esprit.

Le Colonel

Alors, petit ami, tu comprends l’essentiel,

Que l’Autre est ce mystère où naît le relationnel.

C’est là que l’homme existe, en cet étrange feu,

Non en se repliant, mais en tendant vers deux.

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