mercredi 29 janvier 2025

 
« Ce que Kafka nous donne, don que nous ne recevons pas, c'est une sorte de combat par la littérature pour la littérature, combat dont en même temps la finalité échappe et qui est si différent de ce que nous connaissons sous ce nom ou sous d'autres noms que l'inconnu même ne suffit pas à nous le rendre sensible, puisqu'il nous est aussi familier qu'étranger...»


Maurice Blanchot, L'écriture du désastre, folio
 
 




Le petit chien


Ne voyez-vous, Colonel, que ces mots si nombreux,
Volant comme le vent, disparaissent de ces lieux?
Ils s'effacent déjà, laissant à notre trace
Un désert de silence, un écho qui s'efface.

Le Colonel

Ne crois pas, cher ami, que ces mots soient perdus;
Même s'ils s'effacent, leur écho nous est dû.
Écris-les, si tu veux, mais vois cette écriture!
Est-elle plus réelle que notre voix obscure?
Car pour qu'une trace en ce monde subsiste,
Encore faut-il qu'un œil la voie et l'assiste.
Et cet ail, s'il existe, qu'importe où il se tient,
Il doit nous suivre encore, même absent de ce lien.

Le petit chien

Mais cet œil, dis-moi donc, pourrait-il nous manquer?
Ces mots, s'ils sont lus, ne sauraient s'effacer.
Et pourtant, Colonel, s'il n'y avait personne?
Si ce regard s'absentait et tout abandonne?

Le Colonel

Alors ces mots glisseraient dans un gouffre sans fin,
Un abime muet qui détruit sans cesse le chemin.
Car vois-tu, sans l'Autre, rien ne peut subsister,
Et la trace elle-même n'a pas d'identité.
Mais ne crains pas, petit, car tout mot, s'il résonne,
Porte un écho secret que l'invisible entonne.

Le petit chien

Alors nous ne savons si quelqu'un nous entend,
Si ces mots que je dis flottent dans l'instant.
Colonel, votre foi défie ma compréhension,
Comment croire en ce lien sans preuve ou vision?

Le Colonel

La preuve, cher ami, n'est qu'un leurre de l'esprit,
C'est l'Autre qui demeure, même au-delà du cri.
Il suffit d'y répondre, en un geste ouvert,
Sans chercher à comprendre son regard découvert.
Car cet œil dont tu parles, s'il nous reste caché,
Est peut-être l'abîme où l'homme est attaché.

Le petit chien

Colonel, vos discours me laissent en émoi,
Ces mots semblent s'ouvrir sur un gouffre sans loi.
Mais peut-être avez-vous raison dans votre doute,
Et que nos traces flottent sur une étrange route.

Le Colonel

Oui, petit, chaque mot porte un souffle éternel,
Même s'il s'efface, il poursuit son appel.
Car l'Autre, que tu crains, demeure à nos côtés,
Invisible peut-être, mais jamais effacé.  




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