dimanche 19 janvier 2025

  
« Retourne chez-toi à l'étranger. Il n'y a que là-bas que tu es ici.»

Peter Handke, Par les villages





 
 
Sous un jour complètement différent, quelle consistance ontologique pourraient-on attribuer à l’âne et la poupée… quelle complexité, empirisme ou science donnerait quelque réponse se demande-t’on… La narration qui se joue marque un léger temps d’arrêt. D’intangibles frontières s’évanouissent… Quand… sans aucune aliénation, sans qu’il ne fit aucun effort pour cela, une dimension de la perception jusqu’alors cachée s’était ouverte, on eut dit que l’âne était enfin écouté. On se trompait. Ce qui avait eu lieu, le changement opéré était simplement l’ouverture des oreilles du Colonel et du petit chien, maintenant bleu. Était-ce dû aux explosions, pour l'instant muettes, de l’éruption? Difficile de l’affirmer.
Peu importe pourquoi, peut-être à cause de l’émergence du volcan, mais de nombreuses épaves arrivaient sur la plage avec lesquelles un vrai abri avait été aménagé. Ce qui faisait le bonheur de nos trois compères et ce que le narrateur était incapable de déchiffrer… Il tremble quand une brise légère caresse les rideaux de ce théâtre improvisé et que l’infini des synapses se mettent à danser…
 


Le Colonel
 
Amis, avez-vous entendu cet orgueil insensé?

Cet homme, par ses mots, se croit déjà dressé

Au sommet de ce monde, qu’il veut dominer,

Comme si l’univers pouvait se laisser plier.

Il croit, par ses discours, conquérir la matière,

Mais c’est un feu fragile, un rêve éphémère.

Si nous restons passifs, son pouvoir grandira,

Et bientôt, sur nos vies, sa main s’abattra.

Le Chien (ironique, mais inquiet)
 
Colonel, voyez, comme il tonne et tant délire,

Mais ses mots, dans le vent, ne sont que des soupirs.

Il veut nous posséder, dompter notre nature,

Mais je ne suis sans forme, hors de son aventure.

Qu’il crie, qu’il tempête, qu’il forge un empire vain,

Je glisse hors de lui, je ne crains point sa main.

Cependant, je vous l’accorde, en ces mots déchaînés,

Se cache un feu dormant, un dessein effréné.

L’Âne (sagement, avec gravité) 
 
Colonel, doux ami, chien au pelage bleu,

Je vous écoute ici, sous ce vaste ciel feu.

Et je crains, oui, je crains que cette voix qui tonne

Ne soit plus qu’une ombre: elle veut être couronne.

Ses mots, quoique fragiles, vibrent d’un tel éclat

Que l’esprit s’y soumet, prisonnier de ses pas.

Il faut se méfier de ces rêves grandioses,

Car les plus hauts désirs forgent les pires choses.

Le Colonel (fier, s’adressant au chien et à l’âne)
 
Alors quoi, chers amis? Faudra-t-il nous taire,

Et laisser cet esprit transformer l’univers?

Non, je suis fait de fer, de courage et de toile,

Et ma voix, face à lui, s’élèvera royale.

Nous trois, dans cette nuit, portons une sagesse

Que sa parole creuse jamais ne délaisse.

Si nous unissons nos forces, dans l’instant,

Nous pourrons contenir ce pouvoir éclatant.

Le Chien (s’approchant du Colonel) 
 
Tu parles de grandeur, et moi je te suis,

Mais souviens-toi, Colonel, que la force s’enfuit.

Il croit dominer tout, transformer la matière,

Mais ses mots sont un souffle, un feu dans les éclairs.

Peut-être, si je change, qu’il perdra son chemin,

Car il cherche à saisir ce qu’il croit dans sa main.

Je danserai, fluide, insaisissable et clair,

Et son pouvoir s’effondrera dans la lumière.

L’Âne (se tournant vers eux, pensif)
 

Non, mes chers compagnons, ce n’est pas par la fuite

Que nous pourrons briser le flot de sa poursuite.

Il faut, face à ses mots, un verbe plus puissant,

Un savoir plus ancien, un souffle étincelant.

J’irai puiser au fond des âges disparus,

Aux trésors oubliés des grands esprits vaincus.

Et par la voix des siècles, par l’éclat des anciens,

Je réduirai à rien ses désirs souverains.

Le Colonel (enflammé, tendant la main vers eux)
 
Alors unissons-nous, dans cette heure incertaine,

Chacun portant son don, sa force, sa lumière.

Je serai l’étendard, la voix, la conviction,

L’âne sera la sagesse et la tradition.

Et toi, chien insaisissable, dans le bleu du mystère,

Tu seras notre guide, ombre dans la lumière.

Debout! Face à ce dieu qui croit tenir le ciel,

Faisons de notre union un rempart éternel.

Le Chien (approuvant, un éclat dans le regard) 
 
Soit, Colonel, avançons, dans l’ombre ou dans le feu,

Car ce monde ne doit ployer sous cet orgueilleux.

Je danserai dans l’air, libre et insaisissable,

Et ses mots mourront là, sur des rêves instables.

L’Âne (gravement, en guise de conclusion)
 
Alors allons ensemble, compagnons de hasard,

Et brisons son empire avant qu’il ne s’égare.

Car le vrai pouvoir n’est ni flamme ni tonnerre,

C’est le souffle ancien qui maintient l’univers. 


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