"Qui n'aime ce qu'il a aimé? Il faut aimer le perdu et aimer jusqu'au jadis dans le perdu."
Pascal Quignard, Les Ombres errantes
LE CHIEN
Expliquez-vous, Colonel, vos mots sont voilés.
Votre créateur, dites-vous, serait-il… imaginé?
Auriez-vous façonné cet être si étrange,
Ou bien le croyez-vous sorti de quelque fange?
LE COLONEL
LE COLONEL
Je ne sais, cher ami, si ma pensée confuse
A conçu le Souriant comme une ruse,
Ou si, par quelque tour, dans un jeu éternel,
Celui que j’avais rêvé m’a fait marionnette.
Car voyez, chien fidèle, ce paradoxe obscur:
Je suis né de ses mains, et pourtant, je murmure
Que c’est moi, quelque part, qui l’ai d’abord conçu,
Comme un rêve éveillé dans un bois mal touffu.
LE CHIEN
LE CHIEN
Ainsi, vous seriez l’auteur de ce guide étrange,
Et pourtant son jouet dans l’éclat de ses anges ?
Quelle étrange tragédie dans ce double dessein,
Où créateur et créé se confondent soudain !
LE COLONEL
LE COLONEL
Oui, compagnon, ma mémoire enchevêtrée
Ne peut démêler ce qu’elle a engendré.
Suis-je le fruit d’un autre ou l’artisan du Souriant?
Cette question me hante, infinie et troublant.
Mais alors, qu’est-ce donc que l’homme et sa genèse?
Est-il l’œuvre d’un Dieu, ou d’un songe qui apaise?
LE CHIEN
LE CHIEN
Je vois, Colonel, que votre incertitude est profonde,
Mais ce doute, sachez-le, est l’essence du monde.
Car si l’homme cherche un père ou un sens à sa route,
C’est dans le vide même qu’il trouve son redoute.
LE COLONEL
LE COLONEL
Ah, chien sage, vos mots, empreints de vérité,
Me rappellent que l’homme, et même l’humanité,
Ne sont rien sans ce vide, ce gouffre de mystère
Qui donne à chaque pas un vertige en arrière.
Le crépuscule s’intensifie, les lumières célestes se diluent peu à peu dans l’ombre. Le Colonel, les yeux fixés sur l’horizon, se tait. Le Chien, curieux et pensif, s’étend à ses pieds.
Le crépuscule s’intensifie, les lumières célestes se diluent peu à peu dans l’ombre. Le Colonel, les yeux fixés sur l’horizon, se tait. Le Chien, curieux et pensif, s’étend à ses pieds.
LE CHIEN
Reposez-vous, Colonel, vos pensées sont vastes,
Mais laissez donc le vent, dans sa course faste,
Vous emporter plus loin, au-delà des abîmes,
Là où le Souriant peut s’effacer dans les cimes.
Rideau.
Rideau.
L’échange s’efface dans la nuit grandissante,
Et le silence s’étend sur l’île frémissante.
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