samedi 25 janvier 2025

 
« Lorsqu'il revint dans la chambre, il trouva le général au bord du délire. Il l'entendit prononcer des phrases décousues qui tenaient en une seule: «Personne n'a rien compris.» Son corps brûlait sur le bûcher de la fièvre, et il avait des flatulences fétides et en cascade.
Le lendemain matin, lui-même ne saurait dire s'il avait parlé en dormant ou déliré éveillé, ni ne pourrait s'en souvenir. C'était ce qu'il appelait « ma crise de démence ». Elle n'alarmait plus personne car il y avait plus de quatre ans qu'il en souffrait sans qu'aucun médecin se fût risqué à tenter une explication scientifique. Le jour suivant, on le voyait renaître de ses cendres, la raison intacte.»

Gabriel Garcia Márquez, Le général dans son labyrinthe, Grasset, p.19
 
 
 
Divine providence
 Épisode 81
 
 

 
Le théâtre fragile, battu par le vent marin, tremble en tous sens. Les lambeaux de tissu accrochés aux poutres vacillent, projetant des ombres sur la scène. Le Colonel, immobile, ajuste sa silhouette de poupée, tandis que l'âne fixe l'horizon d'un regard pensif. Le Souriant, invisible aux yeux des compagnons, plane tel un spectre omnipotent, son sourire figé dans une éternelle expression ambiguë. Il écoute ce qu'il n'a pas su dicter.

L'âne, d’un ton grave, après un silence chargé d'attente
 
Le Colonel commence timidement à se raconter.
Mais ces mots qu'il tisse sont comme des filets,
Faits d'une trame floue, d'un écho désavoué.
Sa mémoire n'est qu’une ombre et son passé s'égare,
Un pantin qui vacille au bord de quelque phare.

Le petit chien, trottinant, vif et moqueur pense que raconter n’est peut-être point le mot juste… Le Colonel fait ce qu’il peut et la mémoire d’une poupée n’est pas ce qu’il y a de plus rationnel.
 
Ce pantin sait-il même où sont ses souvenirs?
Un jouet d'autrefois, vide de devenir.
Sa mémoire est tissée de fils malmenés,
Son passé se délite en des rêves brisés.

Le Colonel semble vouloir répondre, mais son silence pèse davantage. L'âne s'avance alors, appuyant d'un sabot ferme sur le sol comme pour souligner son propos.

L'âne, solennel

- Nous savons... et il sait... qui l'a façonné.
C'est le Souriant, maître de toutes pensées.
Mais cette poupée blanche, en qui il se confond,
Cache-t-elle une image, ou bien un nom profond?

Dans l'ombre, le Souriant semble écouter attentivement. Bien qu'invisible, il domine toujours la scène par sa présence oppressante, et son sourire figé, loin de vaciller, reste inébranlable.

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