samedi 25 janvier 2025

 

 
« José Palacios, son plus ancien serviteur, le trouva qui flottait, nu et les yeux ouverts, dans les eaux dépuratives de la baignoire, et il crut qu'il s'était noyé. Il savait que c'était une de ses nombreuses façons de méditer, mais l'extase dans laquelle il gisait, à la dérive, semblait celle de quelqu'un qui n'est plus de ce monde. Il n'osa pas s'approcher et l'appela d'une voix sourde, respectant l'ordre de le réveiller avant cinq heures afin de pouvoir partir aux premières lueurs de l'aube. Le général émergea de l'envoûtement et vit, dans la pénombre, les yeux bleus et diaphanes, la chevelure crépue couleur d'écureuil, la majesté impavide de son majordome de tous les jours qui tenait à la main la tasse d'infusion de coquelicots et de gomme arabique. Le général prit appui, sans force, sur les poignées de la baignoire et surgit des eaux médicinales avec une fougue de dauphin à laquelle on ne pouvait s'attendre de la part d'un corps aussi chétif.»

Gabriel Garcia Márquez, Le général dans son labyrinthe, Grasset, p.11
 
 Divine providence
 Épisode 82
 

 
À la faveur de la nuit le Souriant, invisible présence, délivré de sa mémoire, peut laisser libre cours à ses penchants.



Le Souriant, à part, dans un murmure souverain
 
La poupée est à l'image du Colonel,
C'est pourquoi elle porte son nom, fidèle.
 
Ils ne le sauront jamais, je parle du vrai Colonel, celui fait de chair et de sang, songe le Souriant avec confiance. Je les tiens, ils ne peuvent s'échapper. Mais, en intervenant ainsi, même discrètement, il ajoute au doute des personnages qu’il avait en mains. Certes ceux-ci ne l’entendent point ni ne le voient, mais ils le ressentent indirectement. En perdant involontairement sa place de narrateur absolu, son pouvoir vacille. Ne le sachant point, absurdement, il s'efforce de maintenir son rôle au-dessus des personnages.

Le Colonel, après un silence, hésitant quelque peu et se tenant hors des regards, sa voix trahissant une douleur sourde
 
Cela peut sembler simple... ou cela semble vain,
D’un ressentiment qui, loin d’être discret, m’atteint
Si l'on va plus loin, c’est là que tout s’explique.
À l'image de celui en qui tout cela se complique?
Saurais-je un jour à quelle source obscure,
Je devrais tout ce simulacre qui me torture?

Le Colonel, s’interrompt, comme effrayé par sa propre question. Le petit chien sursaute, l'air vif et curieux. Il dit avec une agitation nerveuse

Mais alors, à l'image de qui fut-il façonné
Celui qu'on nomme ici le Souriant aiguillonné?

L'âne et le petit chien se tournent l'un vers l'autre, un même frisson d'interrogation vibrant dans leur silence partagé, comme mus par une pensée commune.

Le maître secret de notre narrateur aurait-il pris sa place?
Celui qu'on croyait tout-puissant, serait celui qui s'efface,
Le duo était, bien avant cela, tout autre, n'en doutons point,
Des être différents, perdus dans l'horizon tenus dans une main.

Le petit chien, fronçant les yeux, troublé

Tout cela était probablement vrai, mais, avant quoi?
Sauriez-vous me dire vraiment comment et pourquoi?

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