mercredi 8 janvier 2025

 

« Le passé est un immense corps dont le présent est l’œil. Ce corps rêve. La voix l'a abandonné.» 
 
Pascal Quignard, Sur le jadis, Grasset

 

 Divine providence
 Épisode 66
 
 
 


Le petit chien, légèrement hésitant mais parlant comme son maître qui, lui aussi, avec une certaine emphase théâtrale, parle comme le sien.
 
 – Je ne sais d'où pourrait venir cette voix 
Et tous ces mots qui ne sont point de moi?
Quel est ce lourd secret qui, du fond de son être,

Transperce mes pensées d’un éclat vif et traître?

Serait-il un reflet, un songe sans contour,

Un simulacre, un rien, un souffle sans retour?

Sa voix, qu’à chaque instant mon oreille devine,

Porterait-elle en creux l’étoffe d’une ruine?

Oh, ciel ! Si son éclat n’est qu’un éclat menteur,

Qu’en est-il donc de moi, qu’en est-il de mon cœur?

Le Colonel, d’un ton grave, tournant les yeux vers lui.
 
– Ne trouble point ton âme, ô mon fidèle compagnon.

Ce chemin que tu vois, ce sentier de lumière,

N’est qu’un reflet trompeur où danse l’infini,

Une empreinte d’étoiles qu’efface l’oubli.

Songe qu'au moindre pas, ton souffle hésite,

Que ton être en suspens à une main se limite.

Que serions-nous sans l’autre, errants dans le néant?

Des ombres, des éclats d’un rêve intransigeant.

Le petit chien, avec ferveur.
 
– Mais, Colonel, si vous, marionnette fragile,

N’êtes qu’un songe vain, un être au fil docile,

Que suis-je à vos côtés, moi, censé être votre guide,

Si ce monde où je cours n’est qu’un miroir perfide?

Ai-je en moi la vigueur d’un souffle indépendant,

Ou ne suis-je qu’un nœud dans un vaste élan?

Le Colonel, avec une gravité douce et une ardeur contenue.
Mon ami, vois ce ciel où tremble une étincelle:

N’y lis pas ton destin, car la lumière est frêle.
L’être tout entier n’est qu’un écho d’un cri,
Un abîme béant sous le masque de vie.

Crois-tu qu’en me suivant, tu touches à l’essence?

Peut-être suis-je en toi, simple ombre de conscience.

Et si je viens à choir, emporté par le vent,

C’est peut-être en ton cœur que je vis pleinement.
 
Le petit chien baisse les yeux, troublé par ces mots. Il contemple un instant le sol comme pour y lire une réponse, mais le vide l'enveloppe.

– Serions-nous tous les deux l’image d’un dessein,

Un éclat dérisoire au fond de quelque main?

Quelque chose en mon cœur, comme un souffle étrange,

Me murmure pourtant qu’un chemin nous dérange.

Ce sentier que je vois, ce monde en réduction,

Serait-il le vrai lieu de notre ascension?

Le Colonel, soupire, levant les yeux au ciel.
 
Ah ! Ne cherche pas trop, car le doute est un piège.

Il ronge, il désunit, et la raison assiège.

Mais marche à mes côtés, fidèle compagnon,

Et peut-être qu’un jour nous pourrions lire l’horizon. 


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