« Une fois par jour nous sommes peut-être le geste qui répond, loin en bas, dans l'herbe et la lampe solaire au milieu du fourré, le nid de lumière dans le hêtre pourpre et l'obscurité protectrice à l'intérieur de l'if. Nous pouvons être à tout moment le vent des racines qui soulève, d'en bas, les couronnes des arbres, le bruit des nuits et des jours, le vert infini, la surface de la mer au rayonnement tranquille qui s'appelle «galène» dans le proverbe. Demain nous ne serons peut-être rien. Après-demain nous serons morts et enterrés et ne serons pas même une note dans les livres d'histoire. Mais, loin là-haut, les tombeaux de nuages blancs ne cesseront d'être nos lieux du souvenir.»
Peter Handke, Par les villages, Gallimard
Le chien
Vous avez dit : « Il m'assigne avant que je le désigne»
Expliquez-moi, Colonel, je ne comprends ce signe.
Le Colonel
C'est là d’Emmanuel Lévinas une célèbre citation,
Qui place, au cœur du monde, éthique et relation.
Il parle d'altérité, de ce regard qui fonde,
Où l'autre nous devance, et sa clarté inonde.
Il parle d'altérité, de ce regard qui fonde,
Où l'autre nous devance, et sa clarté inonde.
Le chien
Mais dites-moi, Colonel, comment savez-vous cela
Vous, poupée de tissu, forgée par de simples bras?
Le Colonel
Vous l'ignorez donc, chien, mais on m'appelle Colonel,
Car je suis l'image d'un autre, un être réel.
Autrefois, le Souriant, cet étrange créateur,
Autrefois, le Souriant, cet étrange créateur,
M'a taillé de ses mains, lui, féroce imitateur.
Avec son couteau, du tissu, une aiguille et du fil,
Avec son couteau, du tissu, une aiguille et du fil,
Il m'a donné ce corps et une âme si fragile.
Mais pour m'imaginer, il prit un modèle,
Mais pour m'imaginer, il prit un modèle,
Celui nommé Colonel, une image fidèle.
Le chien
Ainsi donc, vous n'êtes qu'un reflet, une copie,
Et ce Colonel vrai dicte tout de votre vie.
Quel lien, je vous en prie, avec cette citation,
Quel lien, je vous en prie, avec cette citation,
Ces mots troublants d'éthique et d'assignation?
Le Colonel
Écoutez bien, petit, car ici l'histoire se renverse.
Le Souriant, voyez-vous, crée des images diverses,
Mais en forgeant mon corps, il jouait un autre rôle.
Car ce qu'il ignorait, c'est que son propre envol
Lui venait du Colonel, dont je ne suis qu'un double,
Lui venait du Colonel, dont je ne suis qu'un double,
Un être fabriqué dans ce miroir qui trouble.
Le Souriant, lui-même, fut jadis une main
Façonnée par ce chef dont je porte le teint.
Ainsi, par mon image, il renverse les jeux
Le Souriant, lui-même, fut jadis une main
Façonnée par ce chef dont je porte le teint.
Ainsi, par mon image, il renverse les jeux
Le créateur devient la créature dans ses yeux.
Le chien
Je peine à suivre, Colonel, ce curieux filon,
Vous dites que le Souriant n'est qu'un pion?
Qu'il fut créé lui-même par celui qu'il imite?
Je crois que dans ce jeu, mon esprit se limite.
Le Colonel
C'est pourtant vérité, dans ce cercle infini,
Le Souriant n'est rien que l’écho d'un déni.
Et moi, sa pauvre œuvre, je porte en mes coutures
Le reflet de ce chef, son étrange nature.
Ainsi, dans ces méandres, les rôles se confondent,
Et moi, sa pauvre œuvre, je porte en mes coutures
Le reflet de ce chef, son étrange nature.
Ainsi, dans ces méandres, les rôles se confondent,
Et l'autre nous devance, c'est là que tout se fonde.
La mémoire, vois-tu, m'éclaire à chaque instant,
La mémoire, vois-tu, m'éclaire à chaque instant,
Et ce qui m'est donné devient plus éclatant.
Mais retiens ceci: l'ordre est un fleuve mobile,
Mais retiens ceci: l'ordre est un fleuve mobile,
Où le créateur lui-même peut n'être qu'un débile.
Le chien
Colonel, je frémis, cette trahison me tourmente,
Le Souriant, ce maître, n'est qu'une ombre absente?
Et moi, pauvre petit, suis-je aussi prisonnier
Le Souriant, ce maître, n'est qu'une ombre absente?
Et moi, pauvre petit, suis-je aussi prisonnier
De ce cycle éternel qu'aucun ne peut nier?
Le Colonel
Nous serions tous comme les maillons d'une chaîne,
Où l'autre nous devance, et nous soumet sans haine.
Mais ne crains pas cela: c'est un feu qui éclaire,
Mais ne crains pas cela: c'est un feu qui éclaire,
Un mystère profond qui donne et puis libère.
Ainsi, dans cette boucle où tout semble incertain,
C'est l'autre qui t'élève et te tend une main.
Ainsi, dans cette boucle où tout semble incertain,
C'est l'autre qui t'élève et te tend une main.
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