mercredi 22 janvier 2025

 

« Ne pas voir le monde vivant consiste tout d'abord à ne pas y prêter attention, c'est son sens le plus évident, relevé notamment par la naturaliste Arabella Buckley dans The Fairy Land of Science (1887):

"Ces gens vont et viennent les yeux fermés, soit parce qu'ils ne les ouvrent pas, soit parce que personne ne leur a appris à voir. Ils sont tracassés et préoccupés par leur propre petite activité et leurs propres petits problèmes!" 
Ce que décrit ici Arabella Buckley, c'est une forme d'indisponibilité, une incapacité à se détourner de soi-même et de ses préoccupations quotidiennes pour faire de la place à quelque chose de plus grand, de plus important, si l'on suit ses formules : le monde vivant et son observation. Ne pas voir le monde vivant est ici assimilé à une forme d'amoindrissement de l'extension de l'existence et du monde vécu, reposant sur un sens de l'importance, sur un sens des priorités défaillant ("petite activité", "petits problèmes") et un autocentrement empêchant tout intérêt pour une altérité.»

Estelle Zhong Mengual, Apprendre à voir, Actes Sud, p. 88
 
 
 
Divine providence
 Épisode77


 
Après que les effluves se furent dispersées, en y prêtant une attention suffisante on peut remarquer la présence d’une construction rudimentaire et fragile, certes… mais puissante, grâce au ciel… Non celui des croyants mais celui bien présent auquel les vents se soumettent tout comme les trois compagnons. Ce qui ne devait être qu’un abri est devenu une sorte de théâtre dans lequel allait se jouer aux yeux de ceux qui le voudraient et qui jusque-là restaient immobiles et pensants comme des témoins isolés et lointains.
 
 
Un théâtre fragile se dresse
 
Ainsi, sur la berge, face au volcan dormant,
Sous des cieux lambeaux d'ombre et de tissu troublant,
Les trois compères erraient, unis par le désir
D'élever contre lui l'ombre d'un avenir.
Leur théâtre s'élevait, frêle, incertain, tremblant,
Mais vibrant d'une force: la révolte du temps.
 
Alors que se dissipe l'étrange envoûtement,
Le théâtre naît sous les cieux mouvants.
Les effluves s'en vont, emportées par les vents.
Ce qui n'était qu’un abri, refuge improvisé,
Devient un édifice, un dessein affirmé.
Non point temple sacré d'un ciel imaginaire,
Mais celui, souverain, que sculptent vents et mer.
Un théâtre fragile, issu de l'inconnu,
Surgit sur cette terre où le chaos s'est tu.
Un appel au silence, une promesse obscure
Les trois compagnons, unis par leur labeur,
Érigèrent ce lieu dans l'ombre et la ferveur.
Là, sous les yeux du ciel, des astres indolents,
Leurs mains mêlèrent le bois et les voiles tremblants.
Ce théâtre est un cri, une énigme posée,
Un défi au Souriant, une scène exposée.

L'Âne 
 Que vienne, s'il se peut, l'œil des cieux invisibles,
Que tous soient témoins de l'ouvrage indicible.
Qu'ils voient ce que trois ombres, unies dans leur raison,
Ont bâti contre l'ordre et sa froide prison.

Le Colonel, stratège et prophète
 
Ce théâtre, mes amis, n’est point qu'une structure
où la brise chancelle en sa douce imposture
C'est une arme, un miroir, un refuge de foi,
Non celle des croyants, mais celle de nos lois.
Le ciel nous a soumis, nous pliant à sa danse,
Mais il nous a donné le souffle de l'offense.
Que le Souriant regarde, depuis ses hauteurs,
Notre scène s'élancer et défier ses lueurs."

Le petit chien bleu, non sans une certaine audace
Et s'il venait, mes amis, à marcher dans nos pas,
S'il voyait notre œuvre, aurait-il ce pouvoir-là?
Car ce théâtre fragile, dressé par nos efforts,
Porte en lui le secret d'un monde sans accords.
Son souffle nous parvient, mais il ne nous possède,
Et dans ce lieu tremblant, c'est sa voix qui s'achève.
Qu'il vienne, qu'il observe: il verra, malgré lui,
Que l'auteur peut mourir dans le rôle qu'il a fui.


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