samedi 18 janvier 2025

 
 « Laisser le contenu se mouvoir suivant sa propre nature», c'est l'expression littérale employée par Hegel dans la préface de la Phénoménologie, pour définir la méthode scientifique. «La connaissance scientifique, dit-il encore, exige qu'on s'abandonne à la vie de l'objet ou, ce qui signifie la même chose, qu'on se rende présente et qu'on exprime la nécessité intérieure de cet objet».

Henri Maldiney, Penser l’’homme et sa folie 
 
 


Divine providence
 Épisode73


 

 
 
Rien n'avait changé, apparemment, excepté le fait qu'ils étaient ensemble... L'âne de son côté, vivait exactement comme s'il était seul et les deux compagnons faisaient de même... mais tous parlent du narrateur, prétendument leur créateur...
 
Le Colonel 
 
Qu’entends-je? Quel dessein surgit dans cet esprit,

Quel vent téméraire à ses lèvres s’éprit?

Se dit-il créateur, maître de cet empire,

Quand ses mots, imprudents, ne font que se dédire?

Moi, Colonel vaillant, vêtu de dignité,

Suis-je fait pour ployer sous sa témérité?

Mes galons, mes honneurs, sont le sceau de ma gloire,

Non l’ornement futile qu’on tisse à sa mémoire.
De quel droit prétend-il, dans sa folle raison,

Me façonner à l’aune de sa vision?

Sa puissance n’est rien, ce n’est qu’un vain mirage,

Et ses rêves sont cendres, au gré de l’orage.

Moi, je suis d’étoffe et pourtant j’ai ma loi,

Je suis ce que je suis, et non ce qu’il conçoit.

Qu’il sculpte des volcans, qu’il élève des vagues,

Mes pas, dans ce chaos, jamais ne se dénient.
Je suis silence et force, immobile témoin,

Le roc sur lequel meurent ses désirs vains.

Que sa voix tonitruante ébranle les cieux,

Je n’entends qu’un écho, fragile et furieux.

Il veut être un dieu, mais ce n’est qu’un mortel,

Un souffle balayé par la course éternelle.

Qu’il sache que le monde, s’il peut l’imaginer,

Ne ploiera jamais sous son désir insensé.

Le petit chien 
 
J’écoute ses paroles, légères, grandiloquentes,

Son rêve de pouvoir, ses idées conquérantes.

Mais moi, je suis qu’un chien mais que rien ne peut lier,

Bleu comme l’infini, libre comme l’acier.

Il parle de me prendre, de me faire matière,

Mais je suis l’air mouvant, le flot de la lumière.

Mes teintes, insaisissables, se fondent au ciel,

Et nul ne m’arrêtera, ni ses rêves cruels.
Il veut sculpter le monde, en être l’architecte,

Mais qu’est-il face à moi, reflet d’un ciel direct?

Je suis changeant, fugace, et pourtant éternel,

Je danse au gré des astres, leur complice fidèle.

Qu’il tente de me plier sous le poids de sa main,

Je ne suis qu’un éclat, qu’un souffle souverain.

Bleu comme le mystère, et roux comme la flamme,

Je glisse, insaisissable, hors de son regard infâme.
Oh, qu’il tonne et qu’il crie, qu’il rêve de grandeur,

Ses mots ne sont pour moi qu’un faible créateur.

Je demeure ailleurs, hors de son emprise folle,

Je suis le vent des cieux, et lui n’est qu’un contrôle.

Qu’il poursuive son rêve, qu’il brise son chemin,

Jamais il ne saura contenir mon destin.

L’Âne 
 
Qu’il parle, qu’il déclame, et qu’il s’épuise en vain,

Je suis l’âne «insolaire», nourri d’un autre pain.

Ses paroles pour moi ne sont que des murmures,

Fragiles et fuyantes comme l’onde au bord dur.

Il veut être un maître, un dieu, un grand sculpteur,

Mais je porte en mon flanc un organe vainqueur.

Je goûte aux mots anciens, aux sages, aux poètes,

Et son verbe arrogant n’effleure mes conquêtes.
Il croit que mes oreilles, ouvertes au présent,

Absorbent son discours, ce cri retentissant.

Mais non, je marche loin, ignorant ses éclats,

Car la force du temps vaut cent fois ses appâts.

Je m’abreuve aux discours des siècles révolus,

Aux pensées forgées d’or, aux silences voulus.

Ses paroles sont vides, leur souffle est un néant,
Qui s’éteint aussitôt qu’il le croit rayonnant.
Qu’il sculpte un volcan, qu’il ploie l’onde et le ciel,

Rien ne peut remplacer un savoir éternel.

Je suis le gardien sûr des mots qui font grandir,

Et non l’écho d’un son qui veut juste s’unir.

Qu’il continue à croire qu’il peut tout transformer,

Il verra que le monde résiste à se plier.

Moi, je marche, serein, insensible et lointain,

Car tout ce qu’il proclame mourra dans le matin. 
 
 
 

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