samedi 11 janvier 2025

Souvenir

 

« Je me retournai. Il était là. Assis sur l'étagère à côté de la fenêtre, il me regardait. La lumière du matin qui l'éclairait par-derrière dessinait clairement les contours de sa silhouette. Il portait toujours le même costume blanc des temps anciens, et à la ceinture était suspendue son épée, dont la longueur était adaptée à sa taille réduite.
Non, bien entendu, ce n'est pas un rêve, songeai-je.
« Ô que nenni, point un rêve ne suis, bien entendu, dit le Commandeur qui semblait toujours lire en moi. Et même, je me situe plus près de l'éveil.»
Je restai silencieux. Depuis mon tabouret, je me bornai à contempler sa silhouette.
«Je pense l'avoir déjà dit cette nuit, mais me personnifier à des heures aussi lumineuses, c'est trop trop épuisant, dit le Commandeur. Nonobstant, j'avais envie de voir tout mon content, au moins une fois, comment Messieurs peignait.
Alors je me suis permis de t'observer travailler, avec extrême attention, depuis un fort grand moment. J'espère que cela te contrarie point, Messieurs?»
Je ne savais comment répondre à cela. Que cela me contrarie ou pas, quels arguments un être humain, de chair et de sang, pouvait-il aligner en face d'une Idée?» 
 
Haruki Murakami, Le meurtre du Commandeur, Belfond. p 325

 

Divine providence
 Épisode 66


Le Colonel se souvient… de son guide l'initiant aux mystères de l'équilibre. 
Que le monde était vaste alors... Comment en était-il arrivé là… au point que… celui que son esprit avait imaginé… sa créature, était devenue son propre créateur? Cela, il ne pouvait le comprendre…
 
LE COLONEL

Je me souviens, ami, de mes tout premiers pas,

Des gestes d’un guide aux tendresses à bout de bras.

Un être étrange et sombre, au sourire cruel,

Portait sur son visage une balafre de fiel.

Il était appelé le Souriant par ses amis,

Mais son rire glaçait, comme ses yeux, noirs comme nuit.

LE CHIEN

Le Souriant, dites-vous, cet être singulier?

Comment, sous ses mains d’ombre, avez-vous pu plier?

Était-il bienveillant, ou maître impitoyable?

Décrivez-moi ce guide, cet esprit improbable.

LE COLONEL

Il n’était ni bon ni mauvais, ni clair ni sombre,

Il portait en lui l’abîme et ses voûtes sans nombre.

Sa main, rude parfois, se faisait caressante,

Et son œil, dans la nuit, brillait comme une amante.

Ce fut lui qui m’apprit le mystère des pas,

Le secret du mouvement et de ce qu’il enlace.

Le Colonel marque une pause, levant les yeux vers l’immensité céleste. Le vent siffle doucement, comme pour raviver en lui le souvenir enfoui.

LE COLONEL
Je me revois trembler, faible et déséquilibré,

Sous ses mains qui guidaient mes bras articulés.

Il disait d’une voix aux accents familiers:

"Marionnette, avance, apprends à balancer,

Car l’homme ne sait vivre qu’au bord de la chute,
Et c’est dans l’incertain qu’il trouve sa lutte."

LE CHIEN

Ainsi, ce Souriant fut celui qui, jadis,

Faisait naître en vos fibres une étrange hardiesse.

Mais lui, Colonel, qu’était-il à vos yeux ?

Un maître ou bien l’écho de quelque dieu odieux ?

LE COLONEL

Ah ! Voilà la question qui m’échappe encore,

Car il semblait issu d’un rêve ou d’un décor.

Et parfois, ô compagnon, une étrange pensée

Me hante, comme un feu, une énigme glacée.

Comment en étais-je arrivé à ce moment

Où celui qui m’instruisait, d’un geste aimant,

N’était plus simplement une main créatrice,

Mais un reflet vivant de mes propres caprices ?

 
 


La très véridique histoire du colonel Ortho
Aux éditions "Mundasti ignito"

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