« L'opposition entre punition légitime et vengeance structure la philosophie morale contemporaine. Détracteur influent de la vengeance, Robert Nozick la distingue de la punition judiciaire en ceci qu'elle est impersonnelle: elle n'est pas mise en œuvre par celui qui a subi le tort*. Cela permet que la réaction ne soit pas émotionnelle, qu'elle soit proportionnelle, autrement dit que la vengeance n'outrepasse pas en ampleur le dommage subi, et universelle: on administre le même type de punition pour le même type de tort.
Les zones grises entre punition et vengeance abondent pourtant. Proportionne-t-on toujours la peine au crime?
Les émotions n'influencent-elles jamais les verdicts? Dans son livre Punir (Seuil,
2017), le sociologue Didier Fassin suggère que cette distinction exerce une fonction idéologique: différencier les «civilisés», ceux dont le droit régit les comportements, et les «barbares», soumis à des normes sociales. Pour que la punition se substitue à la vengeance, il faut au demeurant un appareil judiciaire, et derrière lui un État qui garantisse l'application de la peine. Or dans le monde moderne ce n'est pas toujours le cas.»
Razmik Keucheyan, Le Monde diplomatique, janvier 2025
*Robert Nozick, Retributive punishment, dans Philosophical Explanations, Harvard University Press
Qui est le narrateur? Lui-même a de la peine à s'en souvenir... C'est aussi une question que se posent nos trois compagnons... pendant qu'il rédige son journal... avant que ne sorte de sa bouche des mots dont il ne sait l'origine... et bien avant que sa mémoire entrouvrent les portes de la mémoire, faisant apparaître ce qui pourrait être une vengeance...
L'émergence du volcan a perturbé l'équilibre de l'archipel. Certains rochers disparaissent provoquant d'autres remous et c'est ainsi que des plages apparaissent sur lesquelles les trois compagnons trouvent refuge.
Cahier du narrateur
Ainsi, tout émerge lentement, comme une pensée à peine formulée. Ces îles, ces amas de roche nue, sans vie ou presque, se sont tenus là, indifférents à tout, depuis bien avant que je les contemple. Leur silence est presque parfait, ponctué seulement par le bruit des vagues qui s'épaississent au loin. Et maintenant, ce volcan, sombre et massif, qui s'élève du néant comme un être décidé à exister malgré tout. Les fumées rosâtres qui s'en échappent se mêlent au ciel rougeoyant, et les lunes, ces multiples astres suspendus, éclairent la scène avec une lumière qui semble venue d'un rêve.
Je regarde. Et en regardant, je me sens encore étranger à ce qui se passe. L'âne, le Colonel et le petit chien avancent, indifférents ou presque. Ils ne semblent pas se poser de questions. Leur silence m'agace autant qu'il m'intrigue. Que pensent-ils ? Que ressentent-ils ? Rien, probablement. Ou si peu.
Cette scène, qui me paraît vibrante de mystère et de puissance, glisse sur eux comme sur une surface lisse.
L'âne insolaire marche lentement, ses longues oreilles tournées vers le lointain. Il se nourrit des paroles d'un autre temps, d'autres êtres, et pourtant il n'en dit jamais rien. Il semble les porter en lui sans les exprimer. Le Colonel, avec son costume éclatant de galons dorés, ne manifeste aucune émotion. Il avance comme un automate, rigide, solennel. Quant au chien, dont le pelage bleu épouse les teintes du ciel, il est une ombre mouvante, une chose vivante, mais insaisissable.
Je regarde, et c'est tout ce que je fais, pour l'instant. Mais une question s'immisce en moi, doucement.
Pourquoi seulement regarder? Ce volcan, ces fumées, ces vagues... Ils apparaissent devant moi, mais sont-ils vraiment étrangers? Leur force, leur surgissement, me fascinent. Et si, au lieu de les contempler, je les faisais miens?
L'idée naît comme une étincelle, fragile d'abord, puis brûlante. Ils pourraient être miens. Ces îles stériles, ce volcan qui s'élève, cette fumée qui étend ses voiles au-dessus de la mer. Tout cela pourrait ne plus être seulement une image. Ce qui s'offre à mes yeux, je pourrais l'habiter. Mieux, je pourrais le transformer.
L'âne, avec son étrange organe à citations, pourrait réciter mes propres mots, porter mes pensées comme un écho de moi-même. Le Colonel, ce pantin rigide, pourrait devenir mon bras, ma volonté incarnée. Et ce chien, ce caméléon céleste, pourrait être la matière de mon imagination, changeant au gré de mes désirs.
Et le volcan... Ah, ce volcan! Il est déjà une puissance en soi, mais il pourrait être plus. Je pourrais lui donner une autre forme, un autre souffle. Je pourrais en faire le cœur battant de ce monde.
La pensée, maintenant, me possède. Plus je contemple, plus je sens cette volonté croître en moi. À quoi bon rester celui qui regarde, alors que tout ici pourrait plier sous mon imagination? Ces vagues, grossissantes et indociles, je pourrais leur donner un rythme. Ces fumées, légères et insaisissables, je pourrais les teinter à ma guise. Ce ciel rouge, je pourrais l'étirer, l'éteindre, ou l'embraser davantage.
J'en ai assez d'observer. Pourquoi me contenter de décrire, alors que je peux créer? Les mots que je prononce, qui jusque-là effleuraient le monde comme une brise, deviennent des ordres. Ils pourraient être miens.
Le volcan me défie de sa masse sombre, imposante, mais je sens qu'il n'est qu'un début. Si je veux, je peux le prolonger, l'agrandir, le rendre si grand qu'il dévorerait l'horizon. Les vagues se brisent en grondant, mais ce bruit pourrait devenir une mélodie harmonieuse façonnée par ma volonté. Et eux, mes trois compagnons, je pourrais les changer. Leur indifférence m'agace, mais elle me fascine. Je pourrais faire de leur silence une parole, de leur marche une danse, de leur immobilité une action.
Cette pensée me dévore maintenant. Ce monde, je ne veux plus seulement le voir. Je veux qu'il soit mien. Je veux le plier, le tordre, le recréer à ma guise. Tout ce que j'ai contemplé jusqu'à présent n'était qu'un brouillon, une esquisse. Moi, je peux en faire une œuvre.
Je sens le pouvoir grandir, comme un écho de ce volcan qui s'élève. La roche nue de ces îles ne devrait plus être une contrainte. Elle est une matière à sculpter. Le ciel, les fumées, les vagues, tout cela n'est qu'une palette offerte à mes mains. Je ne suis plus un simple témoin. Je suis devenu quelque chose d'autre. Un auteur, un maître, un créateur.
Et ce monde, ce volcan, ces vagues, ces iles, ces créatures étranges, ne m'échappera pas. Pas cette fois.
Dans cette version, le monologue traduit une progression graduelle : de l'observation passive au désir naissant, puis à l'affirmation d'un besoin irrépressible de domination et de création. Le narrateur, emporté par son imagination, s'abandonne à une montée en puissance où il ne veut plus simplement voir, mais transformer et posséder.
Je regarde. Et en regardant, je me sens encore étranger à ce qui se passe. L'âne, le Colonel et le petit chien avancent, indifférents ou presque. Ils ne semblent pas se poser de questions. Leur silence m'agace autant qu'il m'intrigue. Que pensent-ils ? Que ressentent-ils ? Rien, probablement. Ou si peu.
Cette scène, qui me paraît vibrante de mystère et de puissance, glisse sur eux comme sur une surface lisse.
L'âne insolaire marche lentement, ses longues oreilles tournées vers le lointain. Il se nourrit des paroles d'un autre temps, d'autres êtres, et pourtant il n'en dit jamais rien. Il semble les porter en lui sans les exprimer. Le Colonel, avec son costume éclatant de galons dorés, ne manifeste aucune émotion. Il avance comme un automate, rigide, solennel. Quant au chien, dont le pelage bleu épouse les teintes du ciel, il est une ombre mouvante, une chose vivante, mais insaisissable.
Je regarde, et c'est tout ce que je fais, pour l'instant. Mais une question s'immisce en moi, doucement.
Pourquoi seulement regarder? Ce volcan, ces fumées, ces vagues... Ils apparaissent devant moi, mais sont-ils vraiment étrangers? Leur force, leur surgissement, me fascinent. Et si, au lieu de les contempler, je les faisais miens?
L'idée naît comme une étincelle, fragile d'abord, puis brûlante. Ils pourraient être miens. Ces îles stériles, ce volcan qui s'élève, cette fumée qui étend ses voiles au-dessus de la mer. Tout cela pourrait ne plus être seulement une image. Ce qui s'offre à mes yeux, je pourrais l'habiter. Mieux, je pourrais le transformer.
L'âne, avec son étrange organe à citations, pourrait réciter mes propres mots, porter mes pensées comme un écho de moi-même. Le Colonel, ce pantin rigide, pourrait devenir mon bras, ma volonté incarnée. Et ce chien, ce caméléon céleste, pourrait être la matière de mon imagination, changeant au gré de mes désirs.
Et le volcan... Ah, ce volcan! Il est déjà une puissance en soi, mais il pourrait être plus. Je pourrais lui donner une autre forme, un autre souffle. Je pourrais en faire le cœur battant de ce monde.
La pensée, maintenant, me possède. Plus je contemple, plus je sens cette volonté croître en moi. À quoi bon rester celui qui regarde, alors que tout ici pourrait plier sous mon imagination? Ces vagues, grossissantes et indociles, je pourrais leur donner un rythme. Ces fumées, légères et insaisissables, je pourrais les teinter à ma guise. Ce ciel rouge, je pourrais l'étirer, l'éteindre, ou l'embraser davantage.
J'en ai assez d'observer. Pourquoi me contenter de décrire, alors que je peux créer? Les mots que je prononce, qui jusque-là effleuraient le monde comme une brise, deviennent des ordres. Ils pourraient être miens.
Le volcan me défie de sa masse sombre, imposante, mais je sens qu'il n'est qu'un début. Si je veux, je peux le prolonger, l'agrandir, le rendre si grand qu'il dévorerait l'horizon. Les vagues se brisent en grondant, mais ce bruit pourrait devenir une mélodie harmonieuse façonnée par ma volonté. Et eux, mes trois compagnons, je pourrais les changer. Leur indifférence m'agace, mais elle me fascine. Je pourrais faire de leur silence une parole, de leur marche une danse, de leur immobilité une action.
Cette pensée me dévore maintenant. Ce monde, je ne veux plus seulement le voir. Je veux qu'il soit mien. Je veux le plier, le tordre, le recréer à ma guise. Tout ce que j'ai contemplé jusqu'à présent n'était qu'un brouillon, une esquisse. Moi, je peux en faire une œuvre.
Je sens le pouvoir grandir, comme un écho de ce volcan qui s'élève. La roche nue de ces îles ne devrait plus être une contrainte. Elle est une matière à sculpter. Le ciel, les fumées, les vagues, tout cela n'est qu'une palette offerte à mes mains. Je ne suis plus un simple témoin. Je suis devenu quelque chose d'autre. Un auteur, un maître, un créateur.
Et ce monde, ce volcan, ces vagues, ces iles, ces créatures étranges, ne m'échappera pas. Pas cette fois.
Dans cette version, le monologue traduit une progression graduelle : de l'observation passive au désir naissant, puis à l'affirmation d'un besoin irrépressible de domination et de création. Le narrateur, emporté par son imagination, s'abandonne à une montée en puissance où il ne veut plus simplement voir, mais transformer et posséder.
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