vendredi 8 juin 2018

À bon entendeur




– On dit que les mots ne donnent plus à entendre*...
– Vous mettez le doigt, si j’ose dire, sur une chose importante, très importante. Les mots sont portés à notre attention...
– Si ils sont portés à notre attention c’est que quelque chose ou quelqu’un les porte?
–  Quand la voix, une voix, les porte, elle ne fait pas que porter...
– Que fait-elle?
– Elle le met en mouvement...
– Elle lui donne vie?
– On pourrait dire qu’elle... traduit ?
– C’est cela même. La traduction est un passage. Le passage d’un monde à un autre. Le mot serait comme une clé qui ouvre le passage entre les mondes. Mais il y a une condition... ou plutôt deux...
– Lesquelles?
– La première est de lui donner du sens.
– Et la deuxième ?
– C’est de le désignifier...
– Je ne comprend pas...
– La dé-signification est le moyen, la véritable clé...
– Cela veut dire que cela élimine le sens que l’on a, ou plutôt que la voix a donné au mot?
– Non, cela laisse de la place à une autre signification qui ne remplace pas la première, ou les premières, mais prend place à leurs côtés. À tous moments celui qui entend doit conserver la notion de choix...
– Tous les choix sont -ils valables ?
– Oui et non...
– Voilà qui est clair !
– Ce n’est pas le sens qui est donné qui importe le plus, mais celui qu’il fait naître... d’autant que certains mots ont perdu, ne donnent plus à entendre le pourquoi de leur existence
– Pourquoi cela ?
– Parce que leur sens a dérivé jusqu’à se perdre.
– Mais vous disiez tout-à l’heure qu’il était nécessaire de faire place aux sens nouveaux !
– C’est juste mais je n’ai pas dit qu’il fallait que l’ancien disparaisse... De plus je n’ai pas dit que je regrettais ou que je me lamentais... Je dis simplement que de temps en temps il faille remettre du sens là où il a disparu.


* Marc Alain Ouaknin
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