mercredi 6 juin 2018

Une volonté de fer




« Dans les sommets de l’échelle de ses manifestations objectives, […] la volonté se révèle à elle-même en un corps vivant, qui lui impose une loi de fer, celle de le nourrir. Et ce qui donne vigueur à cette loi, c’est que ce corps n’est rien d’autre que la volonté même de vivre, mais incarnée. Voilà pourquoi l’homme, l’incarnation la plus parfaite de cette volonté, est aussi en conséquence, de tous les êtres, le plus assiégé de besoins. Des besoins par milliers, voilà la substance même dont il est constitué. Ainsi fait, il est placé sur terre, abandonné à lui-même, incertain de tout, excepté de ses besoins et de sa misère. Le soin de la conservation de son existence, au milieu d’exigences si difficiles à satisfaire, et chaque jour, renaissantes, c’en est assez d’ordinaire pour remplir une vie d’homme. 
Ajoutez un second besoin que le premier traîne à sa suite, celui de perpétuer l’espèce. En même temps, de tous côtés viennent l’assiéger des périls variés à l’infini, auxquels il n’échappe qu’au prix d’une surveillance sans relâche. D’un pas prudent, avec un regard inquiet qu’il promène partout, il s’avance sur sa route; mille hasards, mille ennemis sont là, aux aguets. Telle était sa démarche aux temps de la sauvagerie, telle elle est en pleine civilisation; pour lui, pas de sécurité.»

Arthur Schopenhauer, Le Monde comme volonté et comme représentation, 1819



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