lundi 18 juin 2018

Entendons


Et des enfants deviennent grands, les yeux profonds,

Et ignorants de tout, deviennent grands et meurent,

Et tous les hommes suivent leurs chemins.

Et des fruits sucrés naissent des fruits âpres

Et la nuit tombent au sol comme des oiseaux morts

Et restent peu de jours à terre puis pourrissent.

Et toujours le vent souffle et toujours nous

Entendons et disons des paroles nombreuses

Et sentons et désir et fatigue des membres.

Et des routes s’en vont à travers l’herbe et il y a

Ici et là des lieux pleins de flambeaux, d’arbres, d’étangs

Et d’autres qui menacent, et mortellement secs...

Pourquoi ceux-là sont-ils construits? Et pourquoi ne

Se ressemblent-ils jamais ? et sont-ils innombrables?

Et pourquoi rire alterne-t-il avec pleurer et puis blêmir?

Que nous sert tout cela et ces amusements

Pour nous qui sommes grands et seuls à tout jamais,

Voyageur que nous sommes ne cherchant plus de buts?

Que nous sert d’avoir vu grand nombre de ces choses?

© Hugo von Hofmannsthal, 7 avril 2010



Dix-huitième rapport de Don Carotte
Rédigé au dos de l'image, probablement une image de son enfance lors d'un voyage à Lisbonne
( à l'évidence semble ne pas suivre le dix-septième...)

Pourquoi ce jour-là me vint en mémoire un rêve que j'avais fait il y a si longtemps? Je ne puis le dire... Je luttais tant et plus avec moi-même. L’image de la mort se mêlait au visage de l’amour. Les chairs se défont, laissant apparaître le crâne rieur et sanguinolent de la mort. Le rire s’enfonce cruellement dans les profondeurs de la nuit, réveillant sans pudeur les «Relevés» qui s’étaient mis à rêver. Leurs rires rejoignent, indécents, le rire de la mort. Autour de la nuit, ils dansent et sans vergogne s’accouplent au hasard…
L'un disait: 
– Autrefois, dit-on, il y avait là un lac. Ils l'ont volé. Et tout ce qui va avec le lac s'est envolé. Maintenant nous pouvons traverser le lac à pied jusque sur la berge d'en face qui n'en est plus une.
Un autre répondait:
– Aveugles et voyants, tous font-ils les mêmes rêves?
Un troisième disait alors:
– Je ne vois pas ce que vous voulez dire et, de plus, je ne crois pas qu'il y eut deux rêves qui puissent être pareil... Toute comparaison est expérience incertaine et porte ouverte vers l'infini. C'est d'ailleurs ce que je crois que le rêve soit. 

Comment arriver à comprendre autrement ce qui ne demande rien d'autre que d'être écouté... uniquement cela... sans autre utilité.




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