lundi 4 juin 2018

Des mots parlants



"Crois et tu comprendras; la foi précède, l'intelligence suit."
Saint Augustin

 


Ancien Cahier de Don Carotte
Compte rendu nº 4 de l'enfant Lune
Deuxième page, au dos du croquis ci-dessus



Aujourd'hui, septième jour de l'an de Grâce, à peine avant l'aube, au pieds de la cascade derrière laquelle je vivais, derrière l'écran qui me séparait de l'Ancien Monde, les restes vivaces d'un mauvais rêve tressaillent encore dans l'obscurité faiblissante de mon cerveau et du monde qui je tentais d'y construire. J'y vois encore, sur leur perchoir, deux êtres bizarres qui, ils me semble, parlent, parlent et parlent encore... Ils ne sont point comme moi ou comme nous, mais ils ont des voix tout comme les nôtre et quelques fois, je l'avoue, je crois m'entendre parler. Ce doit être une des conséquences de la solitude extrême dans laquelle je vis depuis maintenant si longtemps. Autant que le compte m'est devenu quasi impossible. Ce qui m'apparait de plus en plus comme un avantage. Je ne m'acharne et ne compte plus ce qui me fait perdre mon temps. Il m’arrive aussi de prendre quelque plaisir à écouter ces drôles d'oiseaux. Je ne comprend pas toujours de quoi ils parlent, mais cela me distrait. Non, plus encore, j'y reçois, là où je suis, quantité d'informations dont je ne connais, pour ainsi dire, ni la cause ni les effets, mais cela m'enrichit l'esprit... à nouveau..:

– Le saviez-vous? Dans le monde des hommes, chaque jour des centaines milliards de messages sont envoyés de par le monde. Ils inondent nos écrans et envahissent nos espaces plus ou moins privés. Leurs objectifs principaux: nous orienter de telles manières que nous devenions ce qu'ils veulent que nous soyons: des esclaves consentants, des consommateurs, des adhérents, des votants...

– Pourquoi dites-vous "nous"? Nous ne sommes pas des êtres humains...

– Parce que dès le moment où nous nous sommes mis à parler, nous devenons, petit à petit, comme eux...

– Serait-ce le langage qui serait à la base de cette manipulation dont vous me parlez?

– Pour certains, cela ne fait pas de doute... Tous ces messages façonnent, à notre insu, notre vision du monde.


Quatrième commentaire de l'enfant Lune

Chaque parole vient d’un lieu si lointain que le lecteur peine à réaliser la distance parcourue. Il finit par l’annuler le plus simplement du monde. La voix devient, par nature, si proche que l’on peine à la distinguer de celle qui, il le croit, naît de lui-même. C’est alors que se confondent ce qui ne doit pas l’être, que le voile s’installe et trouble pour longtemps tout regard porté sur l’origine de ce qui s’est manifesté. La langue se tait. Le fondement a disparu. L’ouverture se referme et l’espace le suivra. Il ne restera, pour qui sait entendre, que des mots parlés, parmi lesquels se dissimulent, dans l’ombre des discours, les rares mots parlants.

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