dimanche 28 juillet 2019

(28) Prolongement


« Notre intelligence est le prolongement de nos sens. Avant de spéculer, il faut vivre, et la vie exige que nous tirions parti de la matière, soit avec nos organes, qui sont des outils naturels, soit avec les outils proprement dits, qui sont des organes artificiels. Bien avant qu’il y eût une philosophie et une science, le rôle de l’intelligence était déjà de fabriquer des instruments, et de guider l’action de notre corps sur les corps environnants. La science a poussé ce travail de l’intelligence beaucoup plus loin, mais elle n’en a pas changé la direction. Elle vise, avant tout, à nous rendre maîtres de la matière. Même quand elle spécule, elle se préoccupe encore d’agir, la valeur des théories scientifiques se mesurant toujours à la solidité de la prise qu’elles nous donnent sur la réalité. Mais n’est-ce pas là, précisément, ce qui doit nous inspirer pleine confiance dans la science positive et aussi dans l’intelligence, son instrument? Si l’intelligence est faite pour utiliser la matière, c’est sur la structure de la matière, sans doute, que s’est modelée celle de l’intelligence. Telle est du moins l’hypothèse la plus simple et la plus probable. Nous devrons nous y tenir tant qu’on ne nous aura pas démontré que l’intelligence déforme, transforme, construit son objet, ou n’en touche que la surface, ou n’en saisit que l’apparence. […] Il est impossible de considérer le mécanisme de notre intelligence, et aussi le progrès de notre science, sans arriver à la conclusion qu’entre l’intelligence et la matière il y a effectivement symétrie, concordance, correspondance.»

Henri Bergson


Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu’on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se  posent pas d’eux-mêmes. C’est précisément ce sens du  problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S’il n’y a pas eu de question, il ne peut pas y avoir de connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n’est donné. Tout est construit*.  Alors répondez à notre question: D'où venez-vous?

Candide écoute avec attention les questions et les commentaires de ceux qu'il appelle intuitivement les surveillants, mais il ne peut s'empêcher de penser activement. Les questions lui semblent banales et il n'éprouve aucune peine à y trouver réponse. Cependant il se tait... Ainsi, il est véritablement présent mais, dans le même temps, il est ailleurs. Et dans cet "ailleurs", sa mémoire lui présente une scène qu'il vit pleinement tout en sachant que cette scène se déroule dans un autre temps qui ressemble substantiellement à un récit fictionnel, mais dont il ressent profondément la correspondance, même si les rôles sont inversés, avec ce qu'il est en train de vivre dans le monde réel... peut-être ce qu'il considère ou reconnait comme tel et dont personne ne trouvera traces nulle part si ce n'est dans les récits qu'il fera ou qu'il pourrait faire.


*Gaston Bachelard, La Formation de l’esprit scientifique, p. 14




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