« Nous avons peine à nous figurer l’état d’esprit d’un homme d’autrefois qui croyait fermement que la terre était le centre du monde et que tous les astres tournaient autour d’elle. Il sentait sous ses pieds s’agiter les damnés dans les flammes, et peut-être avait-il vu de ses yeux et senti par ses narines la fumée sulfureuse de l’enfer, s’échappant par quelque fissure de rocher. En levant la tête, il contemplait les douze sphères, celle des éléments, qui renferme l’air et le feu, puis les sphères de la Lune, de Mercure, de Vénus, que visita Dante, le vendredi saint de l’année 1300, puis celles du Soleil, de Mars, de Jupiter et de Saturne, puis le firmament incorruptible auquel les étoiles étaient suspendues comme des lampes. La pensée prolongeant cette contemplation, il découvrait par delà, avec les yeux de l’esprit, le neuvième ciel où des saints furent ravis, le primum mobile ou cristallin, et enfin l'Empyrée, séjour des bienheureux vers lequel, après la mort, deux anges vêtus de blanc (il en avait la ferme espérance) porteraient comme un petit enfant son âme lavée par le baptême et parfumée par l’huile des derniers sacrements. En ce temps-là, Dieu n’avait pas d’autres enfants que les hommes, et toute sa création était aménagée d’une façon à la fois puérile et poétique, comme une immense cathédrale. Ainsi conçu, l’univers était si simple, qu’on le représentait au complet, avec sa vraie figure et son mouvement, dans certaines grandes horloges machinées et peintes.»
Anatole France, Le jardin d’Épicure
Les Mémoires de Candide
Réunies hors limites des hasards où il vit.
On ne pouvait dire de Candide qu’il souffrait d’une quelconque maladie, ni physique, ni nerveuse. Il était convaincu que devenir un homme lui donnerait la possibilité d’une autre vie plus conforme à ses capacités et surtout à ses aspirations. Obnubilé par son désir de bien faire, il oscillait constamment entre sincérité et honnête simulation. Ceci peut sembler contradictoire au premier regard mais s’explique aisément. Il désirait ardemment et sincèrement devenir un homme et le seul moyen à sa disposition pour le devenir était de simuler... de singer si l’on peut dire... Après tout l’homme lui aussi, quand il n’est qu’un bébé, imite ses parents ou son entourage. La grande différence entre l'horloge du petit d’homme et celle de Candide est que la première montre déjà un homme alors que la seconde montre une heure qui n'existe pas...
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