À l'arrêt

Un an après, il était nuit ;  
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Ses yeux étaient noyés de pleurs ;  
Comme les anges de douleurs,  
Il était couronné d’épine ;  
Son luth à terre était gisant,  
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Alfred de Musset, La nuit de décembre 

Deux-cents-trente-cinquième rapport de Don Carotte
Extrait du Grand Cahier Rose

– Qui êtes-vous et qui suis-je?
– Comment pourrions-nous expliquer ce que nous sommes en passant par de si nombreux détours? Que de vérités si profondément dissimulées au sein de mensonges...
– C'est le jeu de la métamorphose... La fable saisit ce qui dans vie nous échappe, animal mien. Si les connexions sont illogiques, les sens, ceux que l'on connaît, d'un endroit dans l'autre, se caressent en tremblant, puis, le masque tombé, se chevauchent avec ardeur. Le méchant joue avec le gentil qui se joue de lui, puis ils disparaissent. Tout cela ne dure que le temps d'un rêve... qui ne se réduit pas au chemin que parcourt l'aiguille du cadran, quel qu'il soit... Les montres ne montrent rien et sont à l'arrêt... De ce temps, l’intrigue, l’ambition, les mœurs dissolues, le tintement des médailles, le bruissement des cordons et l’insolence ont repris la main et le fard masque mal le rougissement des pommettes, le tremblement des membres, le pourrissement des tissus et, par dessus tout, la ruine des âmes en sont la mesure.
Voilà où nous en étions.